2/3. Denver…et contre tout

continuons à sinuer

Il y a quelque temps, j’ai eu la chance de visiter cette ville pour le compte de Série Limitée, des Echos….

 

Cette ville que l’on croyait un peu pèquenaude,  adore le laisser croire.  Au Brown hôtel, formidable palace où séjournèrent Sun Yat-Sen, la reine  de Roumanie et les Beatles, le patio spectaculaire avec ses huit niveaux, célèbre chaque janvier, le boeuf of the year. Après avoir remonté la 17th rue, il vient cahoter sur le marbre puis trôner près du piano à queue Yamaha sous les applaudissement de la société locale. Sans transition ni relation aucune, on y organise aussi ici même, le bal des débutantes. « La suite des Beatles est-elle à louer ? Bien sûr, répond le concierge, c’est la 840… 800 dollars. Elle est immense, 850 square feet, et dispose d’un juke boxe dédié aux chansons des Beatles. Elle est libre ce soir, votre nom? ».

Cette méprise n’en devient plus une à la longue. Elle nourrit l’imaginaire de la ville. Denver pourrait se glisser non sans raison dans ces villes phantasmées: Tanger, Ibiza, Goa, Katmandou. Ce n’est pas un hasard si l’écrivain John Fante naquit ici. Il y scruta la poussière et la misère. Jack Kerouac tourne en rond sur Larimer street, tape ses amis, s’arsouille avant de prendre la route (« On the road «,1957). La beat generation grave ses initiales sur les arbres de la ville, elle pense, lévite, boit beaucoup et fume déjà.

Aujourd’hui, et ceci n’est pas une méprise, le Colorado est le premier état à avoir autorisé (2014) l’usage non médical de la marijuana, pardon du cannabis, terme politiquement plus correct. Car, on commence à javelliser la dimension trash du produit, les laboratoires pharmaceutiques sont aux aguets, les stars ont déjà les deux pieds dedans. La ville compte, dit-on,  plus de points de ventes que de Starbucks. les week ends les rues sont hautement parfumées et la génération Z a le sourire en banane. Les boutiques sont comme des pharmacies avec des prescripteurs  souriants aux patiences d’infirmières: « Hey, goûtez notre cookie purple hazzle! », suggère une jeune vendeuse de RiNo (River North Art), à l’est de la ville. Franchement, il a triste mine, livide et de guingois (5€). Rien ne vaut pour le même prix, à 300 mètres d’ici,  le croissant au chocolat  du Denver Center Market. Le « green rush » a bousculé les moeurs de la ville:  135 millions de dollars sont tombées dans les caisses de l’état. On construit à tout va. Les serres fleurissent à tous vents. La ville s’est promise une décade fleurie, même si les rythmes trop flatteurs donnent quelques sueurs froides aux prévisionistes.

Pourquoi Denver fonctionne en nous? Parce qu’elle réunit les tropismes de cette Amérique sauvage. Ce grand ouest, ce paradis promis. Les Kerouac, Ginsberg ne cherchaient pas seulement à sortir du carcan d’une société toujours aussi cadenassée. Ils venaient nourrir cet appel du « wild », cette plongée dans la nature. Ce qui les aimantait dans cette ville et ses paysages, c’est cet amour du continent. Cette force tellurique qui fait de Denver une ville où l’on se sent bien, où l’on respire un air vivifiant, élastique. On doit pouvoir y écrire, prospérer,  chanter, travailler de ses mains . Avec comme seule engeance: « Ne pas ressembler à la Californie! ».

S’engagera alors durant votre séjour une course de vitesse avec la ville. il ne faut surtout pas la laisser faire. Sinon, vous serez piégé autour de la gare d’ Union Central, une réussite de réhabilitation gorgée de bars et de restaurants (et même hôtels), ou encore la  16th street,  commerciale et désenchantée. Il faut reculer comme on le ferait d’une boisson trop enivrante, éviter la captation molle et filer vers Red Rocks, à quelques miles de la ville. Tout à coup, cette Amérique rêvée est à vos pieds, élargissant vos tempes par ses panoramas, sa générosité, ses azurs. C’est à pleurer. À rire de félicité. Il y a un incroyable amphithéâtre, pouvant accueillir 9450 personnes. S’y produisirent les plus grands noms. Au programme de l’année 1964 ? Count Basie, Peter, Paul and Mary, Igor  Stravinski et les Beatles. Tout au loin se profile Denver. Vous allez la rejoindre par pallier comme un avion amorçant sa descente. Les paysages se succèdent, on passe du tellurique ahurissant (le Colorado affiche 58 sommets à plus de 4267m), à la Suisse alpine, comme extraite d’une tablette de chocolat au lait. On s’aperçoit alors que plus rien ne vient contredire cette nature royale. Vous pouvez frissonner, l’Amérique est en vous. Denver vous revient tout devant.

Vous risquez même de retrouver cette béatitude (celle-la même de la« beat » generation), cet usage jouissif propre aux villes, l’érotisme des boulevards la nuit tombée.  Ce soir, il fait 32°c. Tout est réuni. La fluidité de l’air, la vitesse de l’automobile, les vitres baissées, la faune nocturne (question « wild », vous serez servi) et soudain cet infini plaisir lié à la scansion des pneus sur l’asphalte, celle des rues perpendiculaires, des feux tricolores, des motels, des vastes magasins. Voici  Colfax avenue. Son incroyable étirement : 40 kilomètres ! La ville semble enfin  vous appartenir, déploie ses charmes, revendique ses méprises, sa rythmique exquise. Il fait bon, il fait Denver.

 

 

Demain, je vous glisse les bonnes adresses de la ville….