1/3. Denver…et contre tous

voyageons encore...

Tout le monde accourt dans cette ville tellurique, bordée par les légendes littéraires, glorieuse dans ses reliefs et friande d’art…

Les villes se bâtissent sur des méprises. On pensait trouver de l’or à Denver, Colorado. Il n’y en eut guère. Si ce n’est des hommes creusant les hanches des collines, tamisant les rivières, construisant bars, bordels, hôtels, voies ferrées, routes, rues (1858). Il y eut même jusqu’à 80 trains chaque jour à  Union station. Ça sifflait dans tous les coins. Nous étions alors dans l’Ouest, into the wild. Des aventuriers affluaient de la terre entière, avec  dans la nuée des trappeurs français. Des hauts des bas, il semble que la ville n’aie fait que cela. Elle s’est mangée des râteaux à tour de bras, s’est détricotée à plaisir, a failli rejoindre l’une des 250 villes fantômes de l’état. Denver renonça même aux jeux Olympiques d’hiver (1976), une première. Lorsque le cours du pétrole tomba à 9 dollars (1986), même le maire John Hickenlooper (à présent gouverneur), qui était géologue à l’époque, perdit son emploi.

Aujourd’hui Denver entretient cette même méprise. Près de 10 000 personnes débarquent ici chaque mois. On vient chercher ce « cool » étrange qui se dégage des villes meurtries. C’est le lot des villes fracassées comme Minneapolis, Detroit, Philadelphie. Elles renaissent ? Nous avec ! C’est le syndrome de la blessure; revenir plus fort. Vous aussi allez tomber sous le charme d’une des villes les plus désirées des États Unis (après New York et San Francisco). Mais son carnet de rendez-vous est plein à rebord avec des loyers bientôt aussi élevés qu’à Paris.

Cette ville aux cieux si dégagés (300 jours de soleil par an) joue avec ses contretemps, comme une caisse claire dans un morceau de jazz. La mode ne s’est jamais attardée ici. Denver est si peu show off. «  Pas de frime, analyse Suzy, photographe, pas de bagnoles criardes,  de montres en or, de visages refaits ». Et pourtant, la ville applaudit déjà des deux mains la prochaine exposition du Denver Art Museum. Son thème: Christian Dior, «  From Paris to the World ».« Pourquoi ici? s’interroge ingénument Florence Müller, curator du département textile et mode. Pourquoi pas! Pourquoi devrait on avoir un Monet à la maison, si on aime Monet . » Et pourtant ce soir, au vernissage d’une exposition de photographies (Land art), on sent qu’il y a quelques Monet à se promener dans les salles de l’Art museum. Le style ici est très décontracté, très chasse et pêche, vestes matelassées, lecteurs du New Yorker, affables et gentils. « Venez diner avec nous au petit chinois de la gare ! ». Comme partout maintenant dans le monde, l’art a pollènisé toutes les villes montantes, satiné les quartiers bobo, chassé les locaux, emballé les chroniqueurs, crémé les fiertés locales.

Denver peut se permettre des choses invraisemblables comme cette tour décomplexée tracée en 1971 par   l’architecte et designer italien Gio Ponti. On se dit alors que Denver est bien perchée. Dans son altitude (1609m) mais aussi aux tableaux d’honneur. Le Colorado est l’un états les mieux éduqués des États-Unis, même le boucher du coin, assure t on ici,  a son Ph. D (doctorat de philosophie). On adore parler de tout, se laisser épater.