1/2. Vincent Cassel: « je ne travaille pas , j’infuse ! »

Sortons un peu de la tête de veau...

Pour les Echos Série Limitée, j’ai eu la chance de rencontrer Vincent Cassel et lui poser quelques questions. Cela s’est passé au Perchoir , j’étais pour tout dire dans mes petits souliers devant ce genre de personne aigüe, dense. Et puis, finalement, cela s’est bien passé. Les belles photos sont de Lucian Bor, les moins bonnes de ma pomme…

 

 

Avec ce grand garçon, pas le temps de préambuler, il s’assied, géométrise sa silhouette sur un canapé de velours. À peine la première question posée, que c’est un four à pizza qui embrase les mots à cadence de cheval. Pas même le temps de parler de son film en promo (Vidocq, réalisé par Nakache et Toledano). Ce qui n’est pas pour nous déplaire….

  Dans votre chambre d’adolescent, qu’y avait-il de punaisé sur les murs ?

Il y avait un poster de la « Fièvre du Samedi Soir ». J’avais transformé ma chambre en boite de nuit avec stroboscope, platine Dual…Le premier disque que j’ai acheté du reste, c’était « You make me feel » de Sylvester. Je vois encore le disque en vinyl rouge fluo. Du pur disco. Pour vous dire que j’aimais déjà bien danser sur la musique afro-américaine.

Comme sur l’étiquette d’un pull, arriveriez-vous à tracer la tessiture de votre voix,  décliner les composants ?

Je n’aime pas ma voix. C’est la chose que j’ai le plus de mal à accepter. Je parle comme mon père, comme mon frère. A l’époque, lorsque le téléphone sonnait à la maison, si l’un de nous trois décrochait, à l’autre bout du fil, il y avait toujours un doute.  Ma manière de parler a sans doute été modifiée par les nombreux accidents. Je suis tombé pas mal sur la tête, je me suis écrasé les sinus, d’où sans doutes ces intonations nasales. J’ai joué dans beaucoup de langues. Chacune ne se situent pas au même emplacement dans la bouche, je me promène donc pas mal…

Comme dans les sauces que l’on souhaite densifier, il y a un « précipité »…

Dans la vie je parle très vite, j’ai même tendance à bouffer les mots. Avec le temps, j’ai appris à être un peu précis dans la diction. J’articule. J’aime bien être compris, utiliser le mot juste. Le précipité, c’est moi. J’ai une fille de 8 ans qui  sort la même énergie. Je suis toujours pressé. J’ai toujours à faire six choses à la fois comme si ma tête allait plus vite que le reste. Ça fait partie de mon métier aussi. Je suis sur un fil. Je laisse aller le cours de mes idées à cette vitesse. L’inconscient va plus vite que l’intellect. On est beaucoup plus intelligent lorsqu’on  fait confiance à son instinct. Ça fait partie de mon attirail. C’est dans le relâchement que j’arrive à me découvrir moi même. Il y a tellement de rétention autour de soi, que l’on s’empêche de beaucoup de choses. Moi j’essaie de faire le contraire. Il y a des acteurs à texte, c’est un chemin. Moi, je suis dans le geste, le mouvement, la physicalité. Le texte vient après naturellement.

Vous qui aimez bien déplaire, quel est votre mauvais goût ?

Le mauvais gout de certain, n’est pas forcément le mauvais goût d’un autre. Dans ce sens là, j’ai beaucoup de mal à juger. Quand on ose des choses nouvelles, on peut se retrouver dans le mauvais goût aux yeux de certain. Dans mon métier par exemple, il ne faut pas avoir peur d’être ridicule, c’est en osant passer par là que l’on fait des choses qui ne ressemblent pas au reste, et du coup sont originales et qui sait, vraies. Quand on reste dans les clous, on va dans la même direction. Ayant eu un père très bourgeois, j’ai été attiré par des choses plus extrêmes. L’extrême, le ridicule, le mauvais goût, tout cela se rejoint.

Qu’est ce qui vous déstabilise ?

Beaucoup de choses. Je suis assez émotif. Je ne m’en cache pas, ni ne m’en défend. Ma vie, mon boulot n’est qu’accident, déstabilisation. Quelqu’un qui ne me parle pas comme je voudrais, une femme qui me plait, qui me regarde… Me retrouver devant les caméras me déstabilise. Le travail de l’acteur, c’est de maitriser ce moment et de s’en servir.

Votre corps  est un langage, quel est son message?

J’ai le goût du mouvement. J’aime le geste dans toutes ses formes, le sport, la pureté du mouvement. Si mon corps parle, c’est de liberté. J’ai assez vite compris que le cinéma, c’était remplir un cadre, ce n’est pas énorme. Aujourd’hui, je sens la lentille. À tel point que si je  me retrouve avec un caméraman un peu lent, je ne sais plus comment jouer…Si je suis mal filmé, je le sens. Lorsque c’est fluide, c’est surprenant, on s’amuse.

On parle de vous comme d’un homme sexy….

C’est un bluff absolu. J’ai tout entendu sur ma tête. Tout et son contraire. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Sexy, cela voudrait dire que je serai un objet sexuel, j’ai du mal à l’imaginer. En revanche, ce que je peux comprendre, c’est lorsqu’on parle de sensualité. Ça passe  par l’appréciation du mouvement, comment on se sent dans son corps, comment on s’accepte. On dit « il s’aime trop ». C’est très difficile de s’aimer. Le bon chemin n’est pas de se modifier, mais accepter ce que l’on est. On peut devenir alors « aimable ». Je pense ainsi à Gainsbourg, il avait accepté ce qu’il était. D’où cette force, ce magnétisme, ce coté sexy. Pour en arriver là, il a du passer par énormément de remise en question, de travail sur lui même, d’alcool. Après, ça passe en force. « L’acteur, disait Michel Serrault, c’est de la prestidigitation. » Je fais ça. Vous y croyez? Abracadabra !

 

(la suite demain, si vous le voulez bien…)