L’interview de Paul Bocuse:  » J’ai bien envie d’ouvrir une guinguette ! »

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Dans quelques jours, Paul Bocuse va fêter ses 84 ans (le  11 février).  Dans son restaurant de Collonges-au-Mont d’Or, il reste toujours impressionnant dans sa stature. Il n’a même plus besoin d’en rajouter. Vous avez devant vous une statue. Une sorte de totem, les bras repliés, la toque partant en cheminée. Il a cette fierté désuète de la tenue. Liserai bleu, blanc, rouge et ce geste merveilleux de nouer son habit <avant d’entrer en scène>. Paul Bocuse est ainsi. Un échappé de l’Histoire de France, un commandeur, une étoile filante. Parfois Monsieur Paul est las. Lui qui avait réponse à tout, fusait comme un fusain, laisse échapper un soupir mélancolique. Ou philosophe, ce qui revient au même. Il a ainsi peut être raison de ne rien penser de la cuisine moléculaire. Parfois pendant l’entretien, il a envie d’arrêter. Il a du mal à se concentrer, il est anxieux de ce rendez vous. Puis la machine repart toute seule. Il s’émerveille presque lui même à parler d’autres projets encore : une guinguette tout près de là…Deux directeurs de salle l’écoute, attendris. Du saucisson chaud, de l’accordéon, du fromage blanc…Ils accepteront même de s’habiller en marinier, de déboucher les bouteilles de beaujolais frais. La vie est ainsi pour Paul Bocuse, un coloriage joyeux et fraternel. La mort peut bien venir lui chatouiller les pieds, finalement, lâche-t-il pensif, <ça arrive à tout le monde>. Et puis il sait, que dans 20 ans, il y aura encore Paul Bocuse. C’est son petit-fils, Paul, deux ans et demi. Alors les molécules, les médailles et la mort. Pfuit !

– Que vous apportent les jeunes chefs ? Ont-ils des valeurs différentes des votres ?

– Tenez j’ai noté deux jeunes que j’aime bien : le premier à Saint Just Saint Rambert, Christophe Roure au neuvième Art et l’autre, Jean Sulpice, à l’Oxalys, Val Thorens. Ce dernier a une femme exceptionnelle et dans un restaurant, un couple cela forme déjà une équipe. C’est fondamental. Leurs valeurs ? Je ne sais pas. Ce que je vois, c’est qu’ils ont plus de soucis que nous. Nous avions la belle vie. Eux doivent se battre avec trop de contraintes.

Pourquoi donc, encore et encore, ouvrir des brasseries à Tokyo, des Ouest Express, à Lyon , vous n’êtes pas rassasié?

– Parce que c’est formidable d’ouvrir des restaurants. Pour doubler le bonheur, il faut le partager ! Vous savez quoi ? j’ai envie d’ouvrir une guinguette l’été venu : saucisson chaud, fromage blanc, volailles…Au bord de la Saône. J’ai le terrain, l’idée des costumes. J’ai les gars. Que eux aussi profitent du train !

– Vous qui voyagez et avez une vision de la pertinence des multiples cuisines du monde, ne trouvez vous pas un peu nombriliste le débat sur la cuisine française comme patrimoine immatériel auprès de l’Unesco ?

– Je crois que la cuisine française est suffisamment bien ancrée. Escoffier et Fernand Point ont su codifier cette cuisine et si elle existe aujourd’hui, c’est à eux qu’on leur doit.

– Ne trouvez pas hallucinant certains prix dans certains restaurants ?

– La bonne cuisine n’est pas forcément chère. Moi je suis par exemple pour les assiettes simples et rondes mais regardez le foisonnement des modèles :  carrée, creuse, ovoïdes, plates…Les restaurateurs ont fait la fortune des porcelainiers. Cela dit, s’ils travaillent, cela signifie qu’il y a une raison. Il faut s’en inspirer. Moi, je ne copie pas, je fais pareil !

– Qu’est ce qui vous agace au restaurant ?

– Si j’ai commandé un poulet, pas besoin que le maître d’hôtel me raconte le grand père du poulet. Pareil pour les sommeliers, la seule question consiste à savoir : c’est bon ? Vous avez eu du plaisir à la boire ? Le reste, pfuit. J’aime les assiettes identifiables, s’il y a besoin d’une explication (de gauche à droite…), cela me désintéresse.

…et chez les chefs ?

Ils m’agacent lorsqu’ils ne portent pas de toque.Qu’ils ne soient pas fiers de leur tenue ! Bon sang, nous sommes les seuls, avec les chirurgiens, à avoir de la tenue. Comme naguère les charpentiers, les horlogers…Pourquoi s’en priver ?!

– Existe-il une recette que vous aimeriez encore améliorer ?

– C’est déjà compliqué une recette. Pas besoin de la marquer, il faut la laisser vivre. On ne cuisine jamais deux fois pareil. Je ne travaille pas à la proportion, au grammage mais juste à l’instinct, à l’envi. À l’intuition.

– Le cuisinier est-il un artisan ou un artiste ?

– Parfois lorsque je vois des cartes signées <artiste culinaire>, je ne peux m’empêcher de sourire. Non, nous sommes des artisans. Des artisans qui aimons notre métier.

– Que pensez vous de ce mouvement instigués par les locavores qui suggèrent de ne consommer et cuisiner des produits issus de la proximité ?

Humm, ça ne doit pas toujours être facile lorsque vous êtes au fin fond de la Creuse. En revanche, si vous opérez dans les Dombes, la Bresse, ça change tout.

– Votre menu idéal ?

– Avec deux-trois copains, un plat unique comme un pot au feu , une volaille, une bonne bouteille, c’est cela aussi le bonheur, celui de la simplicité.

– Le plus beau geste du cuisinier ?

– Lorsque je noue le tablier devant moi avec les brides derrière. Cela signifie que je vais entrer en scène. C’est l’un des gestes que je préfère.

– Regrettez vous la disparition de certains produits ?

– Pas du tout, j’aurais même tendance à penser lorsque l’on me parle des légumes oubliés, qu’on les oublie ! Voyez vous, les topinambours, les rutabagas évoquent la guerre pour ma génération.Laissons la où ils sont !

– Comment allez-vous ?

– Depuis mon opération du cœur, je vois la vie tout autrement. Plus rien ne peut m’arriver. J’ai un peu moins d’appétit et suis plus anxieux

– Dans votre dernier livre, vous évoquez votre vie sentimentale partagée avec trois femmes, le bonheur est il une affaire complexe ?

– Je suis simple. Trois femmes, pourquoi pas ? Mais je  me suis calmé. J’ai toujours eu besoin d’être rassuré, entouré ;

– Qu’avez-vous retenu de la cuisine moléculaire ?

– Le fait qu’on en ait beaucoup parlé. Moi je ne suis pas contre si le client adhère ? Personnellement, je ne pense pas grand chose, j’observe.

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Les questions des grands chefs

– Jean Marie Amat. Comment faites-vous pour être aussi français ?

– Je suis un enfant de la guerre. J’ai subi l’occupation. J’ai été blessé en Alsace et sauvé par les médecins américains. Mon père a toujours pensé qu’ils m’avaient transfusé du sang d’Indien, car j’étais si excité à l’époque ! Voilà pourquoi je suis pro américain, grâce à qui nous sommes là aujourd’hui et définitivement français.

– Comment va la cuisine française , demande Alain Ducasse ?

– Elle va très bien et mieux encore si les frères Dalton (NDLR : Alain Ducasse et Joêl Robuchon) s’en occupent. Il faut qu’il refasse la Grande cuisine Française avec des garçons comme Alleno, Marx, Savoy, Anton…Qu’ils fassent comme à Madrid Fusion, un grand événement remettant à l’honneur la cuisine française…

– Alain Ducasse vous demande : qui voit-il dans 25 ans à Lyon ?

– Peut-être même demain midi ! Mathieu Vianney, Nicolas le Bec.

– Pierre Gagnaire n’a pas de question mais il admire en vous, l’homme libre et de devoir, l’homme très entouré et seul …

Seul ?! On l’est à 84 ans. Il a raison. C’est pour cela que je me raccroche aux brasseries, au Japon, aux guinguettes. Je m’ennuie très vite.

– Michel Guérard : qu’est ce vous avez le plus à cœur dans tout ce que vous avez fait ?

– Il se peut qu’il ne reste rien de tout ce que j’ai fait. Qui se souvient du nom du chef de Maxim’s à la grande époque ? J’aimerais que l’on garde de moi l’idée que j’ai crée l’école d’Ecully et les Bocuse d’Or. Cette année l’épreuve va se dérouler dans le hall Paul Bocuse soit 10 OOOm2. Ca , j’en suis fier

Olivier Roellinger vous demande  la recette pour avoir si bien fédérer les cuisiniers du monde… 

C’est gentil de dire ça…

Joël Robuchon : Avez vous peur de la mort ?

Non ce n’est pas mon souci. Je n’aurais aucun regret. La mort, finalement, ça arrive à tout le monde. La vie, c’est la mort. Je pense que j’ai bien fait mon boulot, donc je peux mourir tranquille.

  • Yoann MATHY
    9 février 2010 at 14 h 48 min

    Mes respects Monsieur Paul….
    Doudou

  • Marc Neeloff
    9 février 2010 at 16 h 10 min

    Oh qu’il est compliqué de parler de Paul Bocuse sans user, à tort et à travers, de tous les superlatifs que la langue française nous offre. Certes, l’homme est, à juste titre, la figure emblématique de la gastronomie mondiale. Mais il serait bon qu’enfin quelques critiques osent lever le petit doigt et disent que le niveau de son restaurant n’est plus à l’image de l’homme. Si on enlève la renommée du lieu et celle du chef, il reste quoi ? Une petite étoile qui ne scintille plus vraiment au firmament…Et ce, depuis très (trop) longtemps. La protection des guides a ses limites…
    Marc Neeloff – http://www.atabula.com

  • Martine Vatel-Toudire
    9 février 2010 at 20 h 16 min

    Bocuse a je crois toujours aimé les guinguettes de bord de Saône, nostalgie de son enfance et de son père, et c’est le reflet de sa simplicité un peu paysanne. Il n’empêche, le restaurant historique vaut au moins une fois d’y aller. Et chose rare dans les gastro, il a ses habitués. Le restaurant n’est pas à mon sens le lieu d’une « expérience unique » (marre des expériences) mais bien le lieu d’un plaisir répété si on s’y sent bien.

  • cigarette electronique
    9 février 2010 at 22 h 28 min

    thanks for your great article…

  • Gould
    9 février 2010 at 22 h 33 min

    Belle interview, elle l’aurait été encore plus nettoyée de ses fautes d’orthographes…..

  • Gould
    9 février 2010 at 22 h 34 min

    je m’y mets moi aussi : « fautes d’orthographE » 😉

  • pascal henry
    11 février 2010 at 16 h 42 min

    Paul Bocuse n’est pas le meilleur,mais son nom résonne dans le monde entier,il doit bien y avoir une raison.
    Et bien souvent ceux qui le critiquent ne sont jamais venus ne serait-ce qu’une fois à Bron,goûter sa cuisine,sont-ils crédibles?
    En ce jeudi 11 février je souhaite un très bon anniversaire au gamin Paul Bocuse 84 printemps!
    Pascal Henry