Prolongations 4/6. Chez Boulan, au Cap Ferret

éloge de l'immobilité

Récemment pour M le supplément du Monde, j’ai pu me rendre à cette adresse, voici un petit résumé de mes impressions…

 

Le trouble des rivages, c’est cet étrange mélange des voix. Elles sont portées par l’eau et vous semblent aussi proches que celles de la tablée voisine. Qu’entend-t-on ce soir au Cap Ferret (dire plutôt, au Ferret), chez Boulan, la table de l’ostréiculteur? Les voix des bateaux dans un faux lointain, et puis ce jeune homme découvrant le paradoxe de ses gouts au dessus d’un plateau d’huîtres: «  c’est drôle, confie-t-il à ses amis, je n’aime pas l’iode et pourtant j’adore le caviar ». Certes. Il est bientôt 20 heures et un essaim de jolies filles extraites de leurs douches arrivent sur le ponton. Quelques garçons aux pantalons clairs essaient en vain de faire aussi bien, mais au final, le décor l’emporte.  La tombée du jour, la dune du Pyla, le Mimbeau, le jardin de cet ostréiculteur… Un magazine de décoration n’aurait pas fait mieux avec le solide tracteur Ford 7000, les nasses d’huitre, les filets qui sèchent. Recommandons une deuxième bouteille de rosée, des crevettes roses, des bulots mayonnaise (l’essentiel de la carte), histoire de voir plus clair. Même pas des nourritures, juste des citations du paysage, de l’iode donc, du pain beurré, la buée des verres de vin. Enfin débarrassé de l’emprise de la table, ses attentes, les plats trop riches. Pour cela on peut aller en face au Bouchon, mais il manque l’horizon, les pieds dans l’herbe, le glissement du soir. Au Ferret, à part quelques incognitos affichés (Pascal Obispo, Philippe Starck), on soigne sa notoriété mais en la ressourçant à l’envers (lunettes de soleil, vêtements trop amples, capuche). Le tout balance entre Robinsons new age, lianes à vélo et grands bourgeois bordelais en pantalons lie de vin. On s’est mélangé depuis peu, mais si peu. Le temps est merveilleux, seul un nuage traverse de temps en temps l’horizon avec pour unique fonction: alimenter les conversations. Que fera-t-on demain ? Ira-t-on pique-niquer à l’île aux Oiseaux ? Reviendra-t-on ici pour l’apéro?  Qui ira chercher les croissants ? Les huitres fraîches et charnues nous regardent. Elles se la pètent un peu depuis leur médaille d’or décrochée au salon de l’agriculture 2017, mais personne n’a envie de venir troubler leur destin. Bientôt elles seront gober dans le sublime glauque de leur iris. Chez Boulan, on voudrait juste que le temps ne bouge pas, qu’une immobilité (l’éternité pendant qu’on y est) vienne nous saisir ainsi doré, apaisé. Mais la mer est là dans son éternel mouvement, nous remettant dans l’instant. Qu’allons nous faire maintenant ?

Venir. Maintenant le train est si rapide: deux heures ! Il en part régulièrement de Paris. Puis location depuis la nouvelle gare et une bonne heure pour rejoindre le Cap Ferret.

Séjourner. Quelques hôtels dont la Frégate (trois étoiles),32-34, avenue de l’Océan. Tél.: 05 56 60 41 62 (à partir de 105€; www.hotel-la-fregate.net) ou, plus chic, les Dunes,119  Avenue de Bordeaux. Tèl.: 05 56 60 61 81( à partir de 185€); www.hoteldesdunes.com.

Dommage. Carte un peu courte, mais attention, il s’agit de la table d’un ostréiculteur et non d’un restaurateur.

Chez Boulan, 2 Rue des Palmiers, Lège-Cap-Ferret. Tèl.: 05 56 60 77 32. Tous les jours de 10h à 21h.

Décibels. 66 db, calme olympien en début de saison.

Mercure. Variation saisonnière.

L’addition: avec quelques verres et abondance d’huîtres, on peut gagner la rive des 40 euros.

Minimum syndical. une douzaine d’huîtres 15 euros.

Verdict: avec grand plaisir.

  • Olivier
    30 septembre 2017 at 16 h 20 min

    « Bientôt elles seront gober dans le sublime glauque de leur iris ». Ohhh, François…