Paul Bocuse au Japon

Un article de Régis Arnaud

J’ai du vous parler à plusieurs reprises de mon ami Régis Arnaud, journaliste-écrivain-réalisateur-homme de théâtre et d’événements (etc…). Il est correspondant du Figaro au Japon et vient de réaliser un papier sur Paul Bocuse au Japon., pour le magazine France Japon Eco, consacré au « goût du Japon ». C’est un plaisir de vous le livrer…Merci Régis.

 

Cette étoile qu’on ne perd pas

Paul Bocuse a marqué les Japonais et la gastronomie française à jamais

 

Passage

Il est mort dans la maison ou il est né. Mais en chemin, il a fait un long détour par le Japon. Le matin de l’annonce de sa mort, tous les Japonais ont dit à un proche en ouvrant leur journal : « Tu as vu ? Bocuse est mort ». « C’est un Dieu » : Joint par l’AFP, le chef Kazunori Nakatani parlait encore de lui comme d’un être surnaturel. La profession, à comme à Collonges-au-mont-d’or, se passait le mot en parlant de « M. Paul ». Comme Christophe Paucod, chef du bouchon lyonnais Lugdunum à Kagurazaka (Tokyo). Lui aussi Enfant de Lyon, grandi au Japon. « Quand j’ai rencontré M. Paul, c’est comme si j’avais rencontré le pape », se souvient-il. « Dans nos métiers, il a été le premier à penser mondialement. Il nous a obligés à aller ailleurs. Après lui, c’était possible. Qu’on soit crêpier, brasseur, chef, il y a un avant et un après-Bocuse », résume Bertrand Larcher, dont les premiers restaurants ont ouverts au Japon.

Mais il y a toujours quelqu’un avant « le premier ». Une personne arrivée trop tôt pour la photo. Cette personne, c’est Shizuo Tsuji, le fondateur de la légendaire école culinaire qui porte encore son nom. En 1965, ce toqué de gastronomie française débarque à Vienne (Auvergne) avec une valise dans la main droite et un appareil photo Hasselblad dans la main gauche. Jeune journaliste en voie de reconversion, il a décroché un stage à La Pyramide, le mythique restaurant (premier à avoir obtenu, en 1933, trois étoiles au Michelin) de Fernand Point. Il commence, littéralement, tout en bas de l’échelle : « Shizuo Tsuji était chargé de ratisser le gravier dans la cave à vins » raconte Pierre Béal,  de l’école Tsuji. Passionné de gastronomie française, capable de disserter sur Brillat-Savarin comme sur Escoffier ou Vatel, il est remarqué par « Mado » Point, l’épouse de Fernand, qui le prend sous son aile et le présente à la confrérie. Un peu plus tard, le chef Raymond Oliver (qui allait prendre en seconde épouse une Japonaise) lui présente un jeune qui fait beaucoup parler de lui : Paul Bocuse.

La conquête

Shizuo Tsuji décide d’amener « M. Paul » au Japon. Au début, il se fait connaître par des corner de boulangerie, au point qu’on le réduit d’abord à cette seule spécialité. Mais il fait l’effort de venir chaque année faire des démonstrations et donner des cours, et se crée un cortège de passionnés. Avec le groupe Daimaru, avec Suntory, avec Hiramatsu, Paul Bocuse ouvre des brasseries et des restaurants à son nom dans tout l’Archipel. « Quand il venait, Shizuo Tsuji mobilisait 1000 étudiants pour venir l’accueillir. Quand je suis rentré dans le groupe en 1986, il était un des trois Français connus de tous les Japonais, avec Alain Delon et Catherine Deneuve », se souvient Pierre Béal.

Les Japonais avaient commencé à découvrir la gastronomie française en suivant des recettes à la Escoffier. Dans les années 70, Paul Bocuse rue dans les casseroles avec la « nouvelle cuisine », mais il s’inscrit dans une ligne et un savoir-faire qui se marient merveilleusement avec le respect japonais de la tradition. Les Japonais sont encore en phase d’apprentissage. Ils veulent de la fidélité, non de l’aventure. « Paul Bocuse gardait sa cuisine. Il ne l’altérait pas. L’emballage et la présentation dans l’assiette qu’il admirait au Japon l’ont un peu influencé, mais ils ne l’ont pas détourné. Pour lui, il fallait toujours que le client puisse reconnaître ce qui était dans l’assiette », observe Pierre Béal.

Shizuo Tsuji et Paul Bocuse deviennent des frères. Le second présente au premier Le Château de l’éclair à Lièges, au milieu des vignes du Beaujolais. Le Japonais y ouvrira en 1979 son école de cuisine, qui formera, et forme encore (à raison de 200 élèves par an), des milliers de jeunes apprentis à la cuisine française.

Un festin seul

Cet extraordinaire appétit a produit d’excellents chefs japonais de cuisine française ; or l’inverse n’a jamais été vrai. Aucun chef français de cuisine japonaise n’a jamais émergé.  « Ça a été la grande frustration de Shizuo Tsuji », raconte un de ses collaborateurs. Mais la carrière météorique de Paul Bocuse dans le ciel japonais a eu une conséquence inattendue, et heureuse au Japon : l’image du métier de chef, jadis peu considérée socialement dans l’Archipel, a évolué grâce à sa réussite. « Paul Bocuse vient d’un pays où un formidable chirurgien est moins connu que son chef préféré », observe, amusé, un familier des gastronomies des deux rives. Plus tard, la publication du guide Michelin et la mise sous les feux médiatiques des chefs « étoilés » japonais achèvera cette transhumance des chefs, de la confidentialité des fournaux au devant de la scène. « Paul Bocuse était toujours très gentil et calme. Il restera pour toujours dans la gastronomie », assure Harumi Osawa, autre figure japonaise de la gastronomie japonaise. Les dieux sont les premiers à se rendre compte que l’éternité a une fin. RA

  • Guichard
    12 février 2018 at 18 h 13 min

    Oh ! Vienne – pays de Fernand Point – n’est pas en Auvergne, mais en Isère (20 km au sud de Lyon) au bord du Rhône.