Actuellement, de toutes les tables des palaces parisiens se détache très nettement celle du Meurice, avec Yannick Alleno (228, rue de Rivoli, 75001 Paris ; tél. : 01 44 58 10 10). Il vient de franchir une nouvelle étape, celle qui le mène à une simplicité faite de clarté, de diction intelligible et de respect des produits. Ses fins coquillages ouverts à cru avec une délicate gelée de chou rouge aux baies de genièvre sont une vraie réussite, assez gonflée dans leur dépouillement, à l’instar d’un poireau à la béchamel et au jus de rôti, avec truffes épaisses cuites en papillote. Il y a là un dépouillement aristocratique tout autant que rupestre. Une précision qui laisse pantois. C’est impeccable dans l’humilité, sauf peut-être avec les desserts imposant une très lente approche.
Dans quelque temps on nous donnera un code à gratter sur du papier à l’or fin. En attendant, il nous reste à briser ces bogues de dentelles de caramel qui vous marquettent les dents dix bonnes minutes, sucraillent le bec, avant d’arriver au petit cœur discutable : de la crème de mascarpone battu. Mais en sortant, on est comme embarrassé. Car ces lieux sont devenus inaccessibles. Les prix n’ont jamais été aussi violents. Des entrées à 98 euros, les plats à 140 euros, les desserts à 23 euros … Qui, sincèrement, peut se payer de telles additions si ce n’est une clientèle d’étrangers, des fortunes colossales, des grands patrons en note de frais ou quelques frappadingues de la table ? Des additions à 600 euros pour deux ne veulent plus rien dire, si ce n’est obliger à basculer dans l’indolore, celui de la paralysie.
(photo F.Simon)
On est là face à un véritable problème : les prix déments de cette haute restauration.
Posons nous d'abord la question : est ce que, 20 ou 30 ans en arrière, l'accès à ces grandes maisons était plus abordable pour nos bourses ? En consultant les vieilles cartes gardées en souvenir, la réponse est incontestablement : oui.
Les vins étaient particulièrement moins chers, même en francs constants. Et comme le pleurent en permanence les grands chefs : seuls les vins leur apportent un peu de bénéfice : il y a là un gros problème à revoir, car, effectivement, la fréquentation de ces palaces montre une clientèle dotée de rentes sérieuses ou de comptes de frais quasi illimités.
Alors, que faire ? Le Guide Rouge a quelque part en mission, d'indiquer aux amateurs étrangers quels sont les endroits où la grande tradition perdure. C'est dans sa logique depuis 1945.
Revenir aux *** de La Luère de la Mère Brazier, c'est certes un souhait qui semble remuer les augustes inspecteurs, mais il semble qu'il faille développer là un petit peu d'ingéniosité … en créant peut-être une nouvelle catégorie ?
Mettre des macarons d'une autre couleur pour les maisons où les dépenses somptuaires ne grèvent pas trop les additions, mais où, incontestablement, la cuisine mérite la récompense suprême ?
Ce serait revenir aux fondamentaux : la note du Guide doit donner priorité à la cuisine.
En tout état de cause, c'est ce que fait parfaitement notre Hôte, François Simon qui privilégie naturellement l'art culinaire, mais aussi une certaine ambiance non compassée, tellement recherchée par les amateurs de simplicité, de convivialité, mais pour lesquels la cuisine peut être à la fois exceptionnelle sans coûter plus de 200 € par tête avec des vins dignes des plats proposés. Et 200 €, c'est déjà beaucoup !
Il y a là une évolution qui semble bien partie au Japon où des *** ont été octroyés à deux restaurants ne proposant que des sushi, et cela, sur de simples bars, sans tables classiques.
Verra t'on une telle évolution en France ?
Le rapport du Figaro est fort instructif : si on note un réel glissement vers un enthousiasme moins grand vis à vis de maisons classiques comme Bocuse,Haeberlin, Blanc ou autres anciens, on remarquera combien des chefs comme Bras, l'honnêteté culinaire incarnée, garde une cote exceptionnelle. La sagesse de ses prix n'y est pas pour peu !
Comme le dit François Simon, il est fort probable que l'an prochain, un grand coup de balai vienne remettre le Guide Rouge à la place qu'il a incontestablement perdu : celle de référence indiscutable.
Et espérons qu'enfin, l'ostracisme contre l'Italie, si belle dans ses meilleures maisons comme Cracco, Antica Corona à Cervere, Lorenzo, verra enfin la consécration d'autant de restaurants qui sont *** en Allemagne ou, surtout, au Royaume Uni ou à NYC où 11 Madison reste l'exemple le plus criard d'une totale mauvaise foi dans sa notation.
Rédigé par : Mauss | 23 février 2008 à 11:38