Grâce au TGV, l’Alsace s’est rapprochée de tous, à très grande vitesse. Elle roupillait dans un ailleurs dodu et paisible, la voici à portée de couverts…
Pas à dire, l’irruption du TGV Est dans l’Alsace devrait avoir des répercussions dans des domaines aussi reculés que la gastronomie. Pour être clair, il y avait là l’un des derniers bastions de la gourmandise hystérique. Les Alsaciens ont toujours été impressionnants dans leur façon de se taper la cloche. Une sorte de grand-messe associée sans doute à une peur récurrente de manquer. Imaginez le tableau ou mieux, promenez-vous dans les villes et les villages et regardez les passants. Nombreux sont ceux qui se sont barricadés derrière de solides corpulences, des remparts molletonnés.
Alors, on l’imagine : être restaurateur ici tient également de l’entretien de ces véritables bâtisses humaines, de l‘étude des rapports à la spatialité. Bien souvent au restaurant, avec les amuse-bouches, vous avez assuré votre portion calorique quotidienne. Lorsqu’on s’assied à table en Alsace, c’est comme entrer dans un sous-bois. Le séjour est assez long et l’on n’en sort pas toujours dans le même état qu‘à l’entrée. Disons simplement, un peu plus lourd. Tout cela pour expliquer que si vous cherchez encore des curiosités gastronomiques, vous tenez là un territoire de choc.
Ne pensez pas pour autant que l’Alsace vous attend ensevelie derrière une digue de kouglofs, ligotée dans des lianes de saucisses. Non, il y a déjà là-bas des tables à la mode. Prenez par exemple un jeune « prodige », comme on dit dans les guides, au Chambard (9, rue du Général-de-Gaulle, à Kaysersberg, tél. : 03 89 47 10 17). Les locaux y vont avec cette fausse candeur suscitée par l’adhésion sociale. Mais dès que le serveur a le dos tourné, on regarde un peu bizarrement ces compositions « parisiennes » qui épatent le bourgeois, rassurent les critiques, mais laissent les amateurs sur leur faim. C’est pas mal, gentiment bon, mais avec ces torsions narcissiques, ces postures qui peuvent laisser de marbre, comme ces alignements de petites cuisses de grenouilles joliment arty (un brin grotesques, finalement drôles) avec leurs traînées de sauce mais sans grande percussion. L’intitulé du bar de ligne « en ligne » est amusant (vous trouvez, n’est-ce pas ?) mais pourquoi y avoir associé un tronçon de homard ? Avec la plus haute bienveillance, en cherchant bien, on ne trouve de savoureux que ce laborieux jeu de mots.