Simonsays a reçu le « Argentina tourism award » comme blog de voyage…

Mazette !

Bon allez, on ne va pas baisser les yeux comme une vierge farouche. Ce prix est trés agréable à recevoir. L’occasion de remercier toute l’équipe de la revue Holiday, Isabelle Mical des Relais & châteaux... Et puis, repassons les diapos de vacances…

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Il existe encore des voyages paradoxalement neufs. Comme à rebours d’un monde trop accéléré. C’est le cas avec Buenos Aires et l’Argentine: une danse électrisante, des névroses magnifiques…

Sur la banquette arrière du taxi, la ville s’est déjà installée. Elle remplit l’habitacle. Elle s’affale. Le voyage vous a fracassé. Vous êtes en miettes; format louable pour être aux genoux de Buenos Aires. Il rend la ville encore plus haute, plus frontale. Elle mange les vitres. Elle actionne ses poulies sur les abscisses et les ordonnées. L’asphalte est joyeux. Il est accueillant. Le taxi vient de vous gruger, mais qu’importe, il vous dépose juste devant la boutique Aux Charpentiers, sur Mexico, numéro 1302. Il faut sonner à la porte. On allume pour vous les néons. Il faudra juste essayer les pantalons de cotonnade noire. En 1888, un Français en récupéra un stock de 100 000 unités délaissées par l’armée turque. Ils firent le bonheur des gauchos. Avec une veste courte, façon spencer, pour à peine une centaine d’euros, il y a de quoi l’étrenner ce soir au restaurant de l’hôtel Algodon. Nourritures calmes et appliquées, vin de malbec intrusif; le calme d’une mansion civilisée. « Vivre, suggérait Carlos Gardel, accroché à un doux souvenir ». Ce à quoi lui cinglait immédiatement Jorge Luis Borges: « No eres ambiciosi, te contentas con ser feliz » Tu n’es pas ambitieux, tu te contentes d’être heureux. Petit avant goût de l’esprit cravaché de Buenos Aires.

Ville première, cité promise

Il doit exister des voyages comme celui ci. On les construit à son insu dans un imaginaire de villes. Un peu à l’Italo Calvino. Ces villes entre songe et utopie. Celles là même que l’on doit construire lorsque nous dormons. Une sorte d’interjection mêlant Vienne, Madrid, New York, Milan. Une ville première, une cité promise. Pourtant,  ce matin, elle ne joue pas. Elle s’impatiente. Il va falloir marcher, flâner, arpenter. Les rues ne demandent que cela. Les trottoirs sont amples, carrelés, prévenants. Ils sont doux sous le pied. C’est l’épiderme de la ville. Ils vous glissent d’un quartier à l’autre, ont de la conversation. Parfois, vous suivez un sillage, une silhouette pendant quelques « quadras« . Ceux ci se nomment sans se déjuger en traversant ces avenues larges comme des pistes d’aéroport: Recoleta, San Telmo, Monserrat, Puerto Madero, Palermo. Régulièrement d’amples arbres apaisent la chaleur d’un soleil visant juste. Des gommiers, des algaves, des celbos, jacarandas: ils furent ainsi 150 000 a être plantés par un Français, Charles Thays (1891). Ils ont pris leur aise depuis, arrivent même à plonger une rue dans une pénombre feuillue. Vous vous croyez égaré dans un autre bout du monde, mais la ville revient avec son ressac, vous porte, vous conforte. Elle adopte vite car à Buenos Aires, il y a une sorte de bonté de bienveillance. C’est une ville qui aime.img_4935

Au grand café la Biela, on célèbre la voiture en photos sépia. Avant, c’était les avions. Il s’appelait  alors Café Aero. Juan, commissaire de l’exposition Roberto Plati au musée des Beaux Arts, est assis à la table de Jorge Luis Borges, ou peut être de Juan Manuel Fangio. Ou d’Ernesto Sabato. Là dessus, les serveurs ne sont pas contrariants. Ils prennent leurs temps, ont le sourire à tout préalable. Avec Juan, nous ne parlons pas la même langue. Nous sommes dans la rocaille du no comprendo, ce genre de chemin cabossé où parfois un mot jaillit sous les lumières des globes en opale. Dix-huit ventilateurs brassent l’air. Ils se reflètent sur le marbre des  tables. Ils sont dans l’allégorie des tablées, discutant, palabrant. Quelques solitaires brandissent leurs journaux au bord d’un campari. Un autre, geste rare et presque daté, se tient la tête entre les mains.

Buenos Aires appartient à ces villes qui vieillissent en resplendissant. Ni botox modeux, ni lavage effréné, juste les strates du temps, un peu de poussières venues diffracter la lumière; de la chaleur l’été venu, les carnations dans leur dilatation.

Quels seraient les pieds de biche pour ouvrir la ville ? Souvent, on ne  vous répondra pas.  Laurence, créatrice de bijoux, suggère de laisser venir les bonnes ondes. La ville en regorge. Se laisser brosser par la gentillesse, la nature affable des habitants; travailler comme eux, bosser même, ne jamais se laisser abattre, résister. Nicolas Ronceray (ev- Verre Volé, à Paris) procède de la sorte dans son clandé de la rue Gason (c’est au 1272). Il suffit de sonner à lourde porte noire. Et apparait son visage illuminé. Cette cave à manger s’appelle Los Divinos. Avec l’aide de Constant, la coqueluche de la ville avec son restaurant A nos Amours, il a retapé cette maisonnette qui fut jadis un atelier de ferronnerie. On y becquette quelques plats de ménage. Métronomiquement claquent les bouchons de vins nature. Celui ci a été fait par un violoniste, au sud de Mendoza. Il s’agit donc d’aller chercher les vibrations, les tourments voluptueux d’un vin joliment épicé. Alors Nicolas, ce pied de biche? « Perdre pied, se détendre,  acceptez le bordel tendre et poétique d’une ville gorgée d’humanité. Elle a connu tellement de crises, de faillites, la misère nous mord les mollets. Il y a donc a une vraie indulgence. Personne ne casse ».

Juan prend sa voiture, nous roulons longtemps.  il découvre que Buenos Aires s’est agrandie vers l’ouest avec le quartier Porto Madero. Celui ci avec ses immeubles tracés à l’hormone, le laisse interdit, presqu’étranger. Nous roulons jusqu’au stade la Bomboniera, impressionnant dans son silence. Comme épuisé du match de la semaine précédente. La foule des hommes dans leur hystérie, la houle vorace et hurlante, les cartons rouges (deux), jaunes (six). C’est aussi une des clés de la ville…Cette hargne divine qui en un tour de rein fait chavirer un stade: la grinta.

Canon à neige

Lorsqu’il s’est inscrit dans l’encadrement de la porte du tout nouveau café Birkin, dans le quartier de Palermo, j’ai tout de suite été sur que  c’était bien lui Alejandro, financier entrepreneur, étudiant en philosophie. Un canon à neige allait me donner les meilleures adresses. A chaque petites questions, l‘arbalète claquait sèchement. Le goût de la ville? Sweet & sour, une amertume anxieuse, totalement névrotique. C’est la ville au monde où il y a le plus de psychiatres. Chacun balance entre lacanien et freudien.  les meilleures viandes? El Pobre Luis. Lire un livre dans un parc charmant ? Dans Palermo, el Rosedal. Bon état d’esprit? Relax, charmant mais dans un sens précis, défini. Léger cadeau à rapporter? les ceintures dans la boutique Las Tres 0, Libertad 1244. Un lieu pour se recueillir? Synagogue de Libertad. Une jolie parfumerie?  Elles sont toutes mortes. Délivrer sa romance? Au restaurant A nos Amours. Parfum de la ville? Floral, jasmin. Prendre un petit déjeuner? Farinelli. Un musée oublié et surprenant? Museo Xul Solar, la maison d’un excentrique, ami de Borges . Les plus belles filles/ les plus beaux garçons?  Café Dada, A nos Amours. Le vrai tango? Salon Canning. Dernier verre? Dada. Alejandro pourrait continuer de la sorte mais il doit filer à sa salle de gym faire du vélo nouveau genre, pulvérisateur de calories : rockcycle, parfait pour le corps et l’esprit. Nous terminons notre capuccino (8/10 suave avec un peu de vice). Il repart dans sa veste de chez Cheverby tailleur fermé, chemise de chez Matisttoni à Rome, jeans APC, chaussures APC bleu végétal. Pas compliqué un axe fréquent ici: Buenos aires- Rome- Paris. Ou si vous préférez: Steak/ pasta caccio et pepe/foie gras.

En quelques clics, on peut accéder à un phénomène de la ville, les « casas serradas », à savoir les diners privés donnés hors du circuit traditionnel de la restauration. Enfants de la crise, chacun s’est essayé au moins une fois, à ce genre de repas concocté à la maison contre quelques dizaines de pesos. C’est un moyen formidable de se mélanger, de découvrir une autre façon de cuisiner. J’ai eu de chance, je suis tombé sur le meilleur, Il Latina, dans le quartier de Palermo. La maison est superbe, l’accueil digne d’un grand restaurant et le reste également avec le fléau inévitable: le menu dégustation servi en 8 séquences. Heureusement, le service est adorable (un étudiant new yorkais) et devine , non sans avoir insisté,  les allergies pour ce genre. Ambiance sonore d’happy fews de la mode, rutilant façon LOUD,  mais non sans panache, piochant nonchalamment dans ses onomatopées de saveurs.

Néologismes franco-absurdes

img_5037Au matin, aller du coté de la Boca, visiter le musée PROA, bien souvent oublié des circuits. C’est dommage, car non seulement le restaurant situé sur la terrasse est plus que valable (calme olympien au déjeuner, vue magnifique sur le pont Avenalleda), mais des installations non sans élégance. Dans une salle, une vidéo nous présente un hédoniste entouré de superbes danseuses hip hop, délivrant son discours du fin fond de sa campagne. Il parlait un français insolent. Façon de réverbérer le truculent métissage linguistique de la ville. L’Argentin, répète-t-on sans fin, est un Italien qui parle espagnol et se croit Français. Le plus truculent, c’est sans doute ici toute la schizophrénie de la ville. On joue avec les argots italiens, espagnols. On glisse même des néologismes franco-absurde du style « pipon » (enrobé), « tientenpied » (snacks), avec ce vérisme cruel et affectueux d’appeler son meilleur ami « boludo » (connard) et si plus si affinités (« hijo de putana ») suggérant une filiation inconfortable. Les femmes héritent d’autant de délicatesse. Lorsqu’elle est est belle, le verdict tombe: barbara!

Ici, les mots comme les citadins prennent l’air. Ces derniers  sont en dissociations permanentes, impénétrables, adolescents, émotifs. Ce sont des narcissiques qui ne s’aiment pas. Ils font penser à ces vieilles stations d’hiver que la mode et le béton ont épargnées. Elles héritent, par le ressac de l’histoire, d’une estime inattendue. Les portenos sont à contre temps, sans doute la meilleure réponse au siècle précipité.

Il y a presque de cela dans le restaurant de Jean Paul Bondoux situé à l’Alvear Palace. Ce soir, il fait le plein et des tablées se pâment lorsque l’on flambe l’aberdeen angus au cognac. Et au risque de se faire roussir quelques poils de bras, filment ces moments d’une cuisine disparue. L’hôtel a du reste creuser ce respectable sillon avec un five o clock tea, dignes des palaces londoniens.Cette adresse mythique sait soigner son approche avec arrivée en corole, marches et portes à tambour. C’est le vieux palace comme on les aime un peu fou, un peu marteau, avec ses volumes euphoriques, les marbres,les lumières épuisées. Il s’est dédoublé récemment d’une réalisation plus contemporaine, Alvear Arte, qui comme annoncé, cultive l’art, avec volumes élancés, immeubles de verre et clientèle accélérée.

Une jeune liane blonde

img_5585Lorsque l’avion a chaloupé au dessus de l’aéroport de Calafate, j’ai failli prendre le bras de ma voisine et lui montrer le lac magnifique, la chaine de montagnes et les couleurs incroyables de cette toundra australe. Pour tout dire, j’aurais préféré que ce soit celle de la 29B, magnifique jeune liane blonde encadrée par deux quadras, gaillards, rugissants de santé, irradiants d’un bonheur à venir. Tous les trois étaient fin équipés, déjà en fibres stretchantes, lunettes réverbérantes et accessoirisés aux grandes marques du muscle. Tout était résumé en eux. Ici en Patagonie, on vient se ressourcer, reprendre de la pulpe, de l’oxygène et de l’horizon. Celui-ci élargit les tempes,  donne de la nacre aux yeux, du rose aux poumons. Visiblement, dès le petit aéroport, chacun a son idée puissamment riveté dans le crâne. La mansion qui nous attend s’appelle Eolo. C’est  un ranch de 4000 hectares affilié aux Relais & châteaux. On le voit de loin, comme un monastère contemporain, posant ses rectangles sur la hanche de l’immense plateau. La route gravillonne. Dès l’arrivée, vous ressentez un bond prodigieux dans l’espace. Celui-ci est taillé dans de larges fenêtres, délivrant le paysage de façon cinématographique. L’air est pur, rapproche les distances. Il étourdit les sens. On entre alors dans une divine démesure, essayant de comprendre le langage des nuages et des lumières. Celles-ci dialoguent avec le pelage de la terre. Il passe de l’anisé au vert empire, du blond de miel à la coquille d’oeuf. Il y a un dialogue évident. Parfois une bribe vous revient, comme en écho au babil de Buenos Aires, l’antithèse minérale de sa névrose. J’ai marché jusqu’à plus soif. M’assurant que plus personne ne me regardait, je me suis allongé le sol, ai enfoui le visage dans la terre comme un tapir, comme pour retrouver un puit artésien, une vérité enfouie. Elle sentait bon l’herbe fraîche, la douceur tabac des brindilles séchées, la moiteur mentholée de la terre. Il y avait là une douceur maternante, sans doute la vérité du voyage. On chantonne alors. On chante même le coeur allègre. On pourrait presque croiser le Petit Prince, dans son ensemble de feutrine vert amande. Saint-Ex l’imagina en ses contrées…

Au diner ce soir, un osso bucco très civilisé, du malbec d’Argentine. Rodrigo Braun, l’un des propriétaires associés, est un vrai Argentin. Ses grands parents viennent de Lituanie et d’Allemagne. Ensuite, dans un probable séisme de couvertures, les méridiens se sont mêlés pour donner ce grand gaillard au regard d’un bleu très réussi. Il parle d’une voix calme et étirée de ces hôtes venus gouter ici le « luxe des choses simples, la nature, des nourritures apaisées, s’asseoir devant le paysage. Et découvrir qu’il ne s’y passe rien. Ou plutôt tout son contraire ». Dix sept chambres, des chevaux, des sentiers et l’infini de la Patagonie. On m’avait annoncé des aubes somptueuses. Du coup, pendant toute la nuit, j’ai guetté le moucheté de la pénombre. L’aurore approcha, déposa ses à plats, aubergines, ses hémorragies de gris étain, de violets inédits, d’orangé Hermès.

Au petit matin, l’heure est au glacier. Mieux vaut venir dans les premiers, car ensuite c’est le caillot touristique à cannes télescopiques. Dans leur viseur,  cette spectaculaire mer de glace entre à peine. On assiste presqu’en applaudissant à la fin monde. Ce front mentholé de trente mètres de haut, avec le réchauffement climatique, est en train de de se fracasser contre la roche. Des pans entiers de glace bleutée s’effondrent dans un craquement d’os . Il n’est pas blâmable d’accueillir alors un instinct meurtrier. Et suggérer, mezzo voce, que l’on n’aurait rien contre à que cette lave glacée avale au passage un autocar de touristes, leurs effusions sonores et leurs ceintures bananes.

Looping cinglant

Le retour à la ville procède d’un looping cinglant. On comprend alors la nécessité d’hôtels aux amortisseurs confortables. On pense bien évidemment à El Algodon , autre Relais & châteaux, taillé comme une demeure et disposant sur son toit d’une piscine cosy. Il y a aussi de superbes machines comme le Park Hyatt situé dans un palais majestueux (le palacio Duhau) ) et dédoublé en deuxième rideau -insolemment arboré- d’un immeuble au luxe efficace.

On peut alors reprendre le pas de deux avec Buenos Aires. Et pour cela, il existe un vocable: tango. Il conviendra en l’espèce de ne pas tomber dans les pièges touristiques désossant le genre et vous clonant dans une marée neurasthénique. Mais de taper au vif. Au plus pur avec des adresses comme  le salon Canning, temple renversant où se frôlent, s’émerveillent des couples vintage. Ces instants sont de pure grâce, avec des gestes d’insectes en chant d’amour, accordant leurs élytres électriques, subjuguées. Des silhouettes merveilleuses d’hommes câlinent leur partenaire comme un horloger sondant le mécanisme d’une horloge. C’est toute une poétique érotique où les chevilles, les pieds, les bassins et les mains, les bouches, développent un langage démultiplié. C’est parfois grandiose dans des séries de pas suspendus, définitivement émouvant lorsqu’un geste reste en suspens. On se demande alors si l’histoire ne va pas s’arrêter, que l’hypothèse hésite devant l’infini. On en ressort le coeur chaviré. Pour mieux recommencer, cette romance charnelle partant comme un frêle esquif.

Ensuite, tout fonctionne comme des essuie glaces. Non aux marchands de rue de San Telmo, lassants de répétitivité. Non  au café Tortoni assommé de pantacourts et de déprime vacancière: ce lieu historique étouffe sous les embrassades, s’enkystent dans les lumières sépias. Un jour, on le relèvera sans vie, son âme se sera envolée dans un selfie de trop. Non au jardin japonais, lorsqu’il fait trop beau. Il est alors gorgé de visiteurs. Mieux vaut aller juste à côté à la Rosedas, superbement planté de rosiers. Oui au restaurant Sucre, conçu par un as, Fernando Trocca et délivrant un sublime tiramisu.

Ce soir, au restaurant Tegui, une des meilleures tables de la ville (et d’Amérique latine), le spectacle est dans la salle. Et dans l’assiette. Le public est aux taquets. Il est  toujours aussi cocasse de voir des colosses débonnaires se pencher au dessus des assiettes contenant des rondelles de radis. Car ici aussi on fonctionne au tasting menu, la plaie du siècle. A la question rituelle des allergies, j’ai répondu avec gravité, le tasting menu. Le serveur n’a pas perdu sa contenance et a déclenché un repas en trois sets extraits de la procession papale. Pas mauvais au demeurant, même parfois avisé comme ces tomates aux fruits rouges, et une mixture très cosmétique. D’ici peu, prenons les paris, on devrait pas tarder à avoir des plats qu’on pourra s’appliquer sur le visage à la pulpe de mangue et au pépin de Corinthe.

Une bombe pour la pampa


dsc02859Lorsque l’emprise de la ville est trop forte, il faudrait immédiatement reculer comme devant une braise trop ardente. Prendre une voiture, un chauffeur qui bombe pour rejoindre la Bamba. Laisser la ville s’étouffer sous ses propres embrassades (le tiers de la population argentine , 14 millions, vit à Buenos Aires) et passer à l’horizontale dans la Pampa. Après deux-trois kilomètres de pistes, un portail s’ouvre, sur le domaine manucuré de Areco, une admirable demeure au « colonial luxury ». Un gaucho vous attend dès l’entrée et au galop vous ouvre le chemin. Dans un somptueux travelling, voici un domaine dédié au chevaux,  au polo, à une lente et profonde inspiration du pays. Onze chambres au luxe calme, au plancher sombre et lourd; cuisine  country chic.

Après cela vous pouvez  repartir à l’assaut de la ville. Cette fois ci, vous commencez à savoir placer les curseurs, déceler les pliures, localiser les vertiges et l’animalité de la ville. On peut même y trouver des rythmes cinglants comme dans un rush de jazz, façon « Whiplash » (2014, Damien Chazelle), une giclée d’eau de Cologne, un verre d’eau glacée. Ce soir, au restaurant de Francis Mallmann, Patagonia Sur, il n’y a que deux tables. nous serons que trois donc, dans cette salle à manger de maison. Hauts murs recouverts de cuir, bibliothèques vitrées, vaisselle de partout et des plats au chic délassé: des pêches rôties au prosciutto et amandes grillées; viandes juste saisie avec une sauce chimichurri; joli malbec et service en creux, efficace et discret. Ensuite quelques verres au bar restaurant Dada et sa faune électrique, puis déambuler encore, rentrer à l’hôtel, cette fois la version contemporaine de Alvear Palace, Alvear Arte, dans sa verticalité arty, chambres au confort épuré, vue définitive sur la ville.

Il faudra alors savoir se retirer de ce somptueux traquenard urbain, ce piège irrésistible. Continuer de marcher, se porter son regard au dessus du premier étage, oublier les magasins de photocopies et flâner ainsi jusqu’à la Boca. Francis Mallmann, chef majeur américain, est là dans son canapé, sous son béret de velours bleu. Il parle de sa voix grave et belle de la ville. Evoque non sans panache  ce que fut l’une des plus riches villes au monde: « On faisait alors venir d’Europe, les maitres de chais pour procéder chaque année, au renouvellement des bouchons des grands crus ». Dans son restaurant, il n’y a que deux tables « je n’aime pas tellement la vie mondaine ». Repartir ainsi dans la chaleur des rues, ressentir ce souffle qui s’inspire de Violet le Duc à Liverpool. Et constater à l’aéroport que sur son épaule, il y a comme une morsure. La marque d’une ville, le début d’un infini sentiment