Simonin: le chas de l’aiguille…


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Parmi les nouveautés, il y a incontestablement le restaurant de Frédéric Simonin. Pour tout vous avouer, j'y suis allé un peu à reculons. Et puis finalement…C'était dans le Figaro de samedi dernier.

Cela va vous paraître bizarre mais parfois visiter un
nouveau restaurant gastronomique tient de l’épreuve. Maintenant, il n’existe
plus de poésie culinaire et de tables s’embarquant au fil de l’eau comme une
coque de noix sur un ruisseau. Les enjeux sont devenus terribles. C’est tout
juste si la banque n’a pas installé un cadre junior dans les coursives pour
vérifier où filent les biffetons. La cuisine est pareille. Elle est guettée par
tous. On l’attend au coin du bois avec tout un attirail digne d’ Albert  Spaggiari : lance roquette,
écarteleur, grattoir, spéculum, chalumeau, sarbacane. C’est ainsi. Le monde de
la table n’est pas tendre, il n’existe plus d’ogres bienveillants baladant
leurs bedaines et leurs gredines un œillet à la boutonnière, des oursins dans
les poches. La jeune critique est effilée comme un rasoir, tranchant comme un
lame à pastèque. Pire encore les costumes gris du Michelin sont planqués dans
les doubles rideaux, le mètre pliant dans la main, le carnet à contraventions
dans la poche. Vous imaginez le chef dans tout cela ? Cela nous donne bien
souvent des cuisines de nerfs, d’écorché, de stupeurs et tremblotements
techniques. Il y a une tension palpable jusqu’au maillage de la moquette,
l’accoudoir du sofa. Un verre chuterait qu’un sanglot éclaterait.
J’exagère ? A peine.

 

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C’est un peu la sensation que j’avais en tout cas en
arrivant dans le tout nouveau restaurant 
de Frédéric Simonin, à Paris (25, rue Bayen, 75017 Paris ;
tel : 01.45.74.74.74). Décor jouant le drama élégant (surabondance de noirs), service
étranglé par le stress, carte aux prix terribles ( à part la formule au
déjeuner à 38 euros), clientèle au guindé aléatoire . J’avais déjà eu des
échos guère flatteurs : hors de prix et terriblement ennuyeux. On devine
d’ici le genre.

On se dit alors 
qu’il faut une cuisine bigrement agile pour passer par le chas de
l’aiguille. Il faudrait un chef sans doute comme Frederic Simonin. Il passa
sans encombre dans la délicate succession Arabian / Robuchon, tout en
conservant les deux étoiles. Rien que pour cela il devrait avoir la légion
d’honneur. Et pourtant, il le fit (l’aiguille et son chas). Assiette de légumes
(<le plat signature>, annonce le maître d’hôtel) jouant dans la clarté,
tourteau et gelée d’avocat dans la luminosité, saint pierre au beurre de yuzu
et petits poireaux dans la perspective et une composition de fraises en dessert
pas du tout prétentieuse , calme et délivrée.

 
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Certes, on ne vient pas ici pour
jouer des maracas, ni chuchoter Platon, mais pour les amateurs de cuisine juste
et taillée dans un classicisme juvénile, c’est franchement une occasion de
rejoindre cette galaxie si troublante dans ses affres et ses poignets tordus.

 

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