Portrait de Pierre Gagnaire:

Réalisé, il y a peu pour le Figaro Quotidien, une rencontre avec un de mes chefs préférés. Paris, Gagnaire parlant Paris, Gagnaire en cuisine

Le chef multi étoilé (11 macarons) s’apprête à fêter le quinzième anniversaire de son installation à Paris, rue Balzac. Après sa faillite à Saint-Étienne, c’est sans doute la plus spectaculaire renaissance de la gastronomie d’un chef habité par le doute mais dont la main ne tremble pas

 

Lorsque Pierre Gagnaire, 61 ans, est au dessus de son « bar saint germain et son misfit de condiments », on comprend sa gêne. C’est presque de l’anthropophagie. Il va non seulement déchirer les chairs d’un superbe poisson pêché au large de la Bretagne, il va aussi traverser ses doutes, son intranquilité, son incroyable bonté ; lui qui, il y a quinze ans se mangeait (spécialité non inscrite à la carte) un râteau épouvantable à Saint Etienne (1996). Son restaurant était mis en faillite. Il du remettre ses trois étoiles malgré son homard rôti au tilleul et échalotes rôties aux amandes fraîches. Pierre Gagnaire se retrouva alors à Paris, soutenu par trois-quatre épingles à linge (des amis, des mécènes, des croyants, Chantal). Lentement, tel le saumon (sauvage), il remonta la pente. En 1997, deux étoiles revenaient sur sa tête et sa tourtière d’artichauts et poivrades aux oreilles de Judas. L’année suivante, son coffre de canard mi-sauvage, bourré de citrons vert rôti au four avec réduction de banyuls, passe crassane et petits pâtissons grillés lui valent à nouveau les trois étoiles. Depuis lors, Pierre Gagnaire est à Las Vegas, Séoul, Hong Kong, Moscou, Courchevel, Dubai, Tokyo (soit 373 employés) , prenant à chaque fois des poignées de distinctions. Y a t il une morale à cette résurrection ? "Oui, répond-t-il, rien n’est jamais acquis!".

 

Il faut le voir promener ses couverts sur cette composition, comme s’il s’agissait d’un batteur de jazz. Il rejoue cette musique du bout des doigts, vous regarde en attendant une approbation, lui qui est magnifiquement pétri d’incertitudes. Il n’aime pas ça. Mais pas du tout. Pourquoi ses plats sont si complexes ? <Tout simplement, parce que si j’avais une tomate parfaitement juteuse et pleine d ’expression, qui aurait le potentiel de vivre toute seule, alors il me suffirait de déposer un grain de sel et le tour serait joué. D’où mon bricolage ! >. Ce à quoi lui répondit, il y a peu, Samuel Fuller : "Je ne sais pas ce que je mange chez vous, mais c’est foutrement bon !"

 

Paris, Gagnaire  bar st germain
Plus qu’un choix, c’est sans doute la vie qui le pousse à multiplier les ouvertures. Ce n’est pas un collectionneur pour autant, il agrandit son spectre des saveurs, son humilité: "Là, je dois déléguer, faire confiance"; et sa rigueur. L’ubiquité le renforce, le rassure. Comment aurait il interpréter son saint-pierre à Las Vegas? Il réfléchit : "J’aurais joué, les huîtres à fond, avec des lamelles de pain grillé, plus de gingembre pour la percussion !" Le bar ? "Pas de bar ! Je l’aurais déporté vers le plat principal avec plus de matière : 130 grammes (à Paris, c’est 70 grammes), avec une purée de pomme de terre, oseille ou raifort, ou mieux : plus punchy, avec du piment du Mexique." Et à Tokyo ? "Bar dans les mêmes portions… Un peu plus petit mais avec en axe principal, le tofu, lui rendre un véritable hommage. Regardez son rôle dans ce plat, c’est comme un coussin, il amortit, donne de l’espace et de l’écoute".

 

 

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Si son restaurant de Paris (45 couverts, 46 employés) fait régulièrement le plein, ne pensez pas qu’il fasse de Pierre Gagnaire un millionnaire. Il équilibre tout juste alors qu’il bénéficie d’un loyer raisonnable (il vient de le renouveler pour douze ans). Ses ouvertures à l’étranger (le groupe emploie 373 employés) lui permettent de respirer et surtout de rameuter à Paris les dingos des grands restaurants :"Si vous saviez comme le monde adore Paris. On ne réalise pas ici l’incroyable attraction que représente notre ville, aussi bien chez le pauvres que chez les riches. C’est une ville inouïe… Foutu de nom d’un chien, il faut conserver cette pétillance, ce style ce jeu… Paris fait rêver".

 

Avec ce style de cuisine, Gagnaire est un atypique, il a peu d’amis dans le coin (à part Olivier Roellinger, Michel Bras), et ne s’en porte pas plus mal. On a voulu l’assimiler à la cuisine moléculaire (déclarée depuis peu maladie honteuse), il soupire devant ces amalgames et défend mordicus, son inspirateur, Hervé This. "C’est un agitateur d’idées, rétorque t il, un vrai scientifique, un vrai provocateur qui cherche… Il faut accepter également que chaque mouvement de cuisine a des génies et des imbéciles. La nouvelle cuisine a révolutionné la cuisine français et pourtant parmi les chefs, il y avait des sans-talents qui vous servait une demi tomate au milieu d’une assiette. Il faut accepter qu’un mouvement naisse, exalte, meurt et laisse place au suivant".

Quel sera le suivant, il n’en a cure. S’inquiète de voir les jeunes générations être accélérées par la télévision, aller à l’encontre de tout ce qui fait des métiers de patience, de vécu : la joaillerie, la sellerie, la haute gastronomie. Paradoxalement, malgré ses multiples voyages, Pierre Gagnaire aurait plutôt tendance à se rapprocher des siens, ses deux familles (deux fils d’une première) et trois de sa nouvelle. Il se ressource depuis peu à Belle Ile, semble poser un regard enfin apaisé sur ce succès qui le longe et le rassure. Il a trop souffert de voir ses parents s’éventrer dans leur travail de restaurateur, de les voir sapés pour une sordide histoire de dénonciation. Alors, il se bat, entretient une forme physique impeccable : six heures de gym par semaine : étirement, entretien. Il tient sa santé de sa mère et s’aperçoit qu’avec l’âge, les problèmes (un client méchant, un employé indélicat) ont une emprise plus aiguë.

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Lorsque le plat est terminé, il regarde le ventre vide de l’assiette comme le ressac de la mer. Son métier, c’est de recommencer sans arrêt, de faire remonter les océans, de laisser quelques coquillages dans le souvenir, continuer un chemin qu’il découvre : "L’épreuve de l’homme, aime t il citer de Jan Patocka (1), ne consiste pas dans la façon dont il réalise ce qu’il a décidé de faire, mais dans la façon dont il réalise le rôle que le destin lui assigné". En 2002, le pépiniériste Delbart a crée la rose Pierre Gagnaire. Dans le catalogue, elle est décrite comme "une variété vigoureuse idéale pour les massifs. Peut être taillé sévèrement pou le maintenir compact ou taillé plus légèrement pour former un beau buisson arbustif, dans les deux cas, il portera de magnifiques bouquets de petites roses tout l’été. Le feuillage vert foncé est résistant aux maladies".

 

(1)in, Pierre Gagnaire, Un Principe d’émotions, par Catherine Flohic, éditions Argol. (photos FS).

  • Jean-louis
    16 janvier 2012 at 10 h 12 min

    Bonjour,
    Désolé, mais votre format ne cadre pas avec la page internet. Je ne sais si cela vient de vous ou moi ??? Avez-vous eu d’autres constations de ce type. Merci

  • bertrand
    16 janvier 2012 at 10 h 56 min

    pareil, c’est dommage

  • Philippe Faret
    16 janvier 2012 at 17 h 27 min

    Oui, je me souviendrai toujours de Pierre, sur l’extrême-fin de Saint-Etienne, désabusé et terriblement triste quand il a échoué à notre grande table, qu’il s’est assis pour parler longuement, de sa cuisine, du restaurant, de lui. Sans nous connaître. Sincère. Totalement séduisant. Nous avons été quelques-uns à sentir qu’il était à bout, au bout, impressionnant et amer. Nous avions terminé un dîner mémorable mais ce qui l’a suivi a été aussi fort et bien plus précieux.
    Réaliser ce que le destin lui avait assigné, c’est très justement dit. Pierre Courage.
    C’était il y a 15 ou 16 ans, quand passait le Tour de France. Notre passion pour cet homme complexe qui s’intimide lui-même n’a jamais faibli, malgré la distance.

  • Thibaut
    17 janvier 2012 at 10 h 48 min

    Un grand monsieur de la cuisine française, et mes meilleurs souvenirs gastronomiques. Quel plaisir de le voir en fin de repas venir à chaque table pour discuter et connaitre notre avis sur sa cuisine.
    J’y retournerai d’ailleurs en juin pour un anniversaire de mariage, car son restaurant rue Balzac est pour moi ce qui se fait de mieux à Paris, à égalité avec l’Astrance.

  • bertrand
    17 janvier 2012 at 15 h 36 min

    c’est dommage on le voit de moins en moins dans son resto de la rue Balzac,mais sa cuisine c’est tjrs +++