Michelin 2014: l’étoile pour Es…

Es, cuisine concerto

Paris, Es, salle
Lorsqu’on entre dans ce restaurant, on a tout de suite pigé. Avant, même. La façade n’exprime rien. Pas une pancarte. Ni même un logo, un signe, un hello. Cela ne s’appelle pas. Ou si : « es », comme le « ça » freudien. Peut-on poser la barre plus haut ? On imagine les travailleurs du chapeau se masser le menton devant une telle fanfaronnade. Pourtant, le chef, Takayuki Honjo, 33 ans, n’est pas un rigolo prenant la pause, façon Rodin. Il est passé un peu partout : Astrance, ouverture de Quintessence à Tokyo, Noma, Mugaritz, Petit Nice de Gérald Passédat. Logiquement, il faut plusieurs siècles pour s’en remettre. Pourtant non, ce jeune homme est là, presque chirurgical, posé, clair et net. Les plats peuvent arriver, ils ont été taillés comme des crayons de bois.
Paris, Es, saint jj
Difficile d’échapper au menu dégustation, dans ces restaurants d’auteur, c’est à présent la règle infantilisante. Les assiettes arrivent toutes les 15 minutes avec dedans un haïku de saveurs : saint-jacques poêlée avec une purée de truffes douce et limpide ; déroutant (mais réussi) foie gras poêlé avec un jus de navet blanc et oursin avec pousses de coriandre (comme un vitrail dans la pénombre ou, si vous préférez, Kyoto la nuit, un soir d’hiver). Ensuite viennent les langoustines et cèpes sautés, puis du rouget et des sucrines caramélisées ; colvert jus aux oursins, pâte de coing… C’est une démonstration de cuisine et surtout le déploiement d’une saison qui débute : l’automne. Il faut avoir la tête humble, l’estomac candide et le coeur ouvert pour accueillir cette cuisine de haut niveau parfaitement maîtrisée et s’exprimant clairement. C’est un récital juste avec des audaces désarmantes : une petite pointe de sel dans le foie gras et voilà le plat transfiguré.
Paris, Es, colvert
Bref, la soirée était parfaite. Au début, c’était parfait. Une sorte de communion douce de gourmets appliqués, un vrai bonheur plissé, lorsque arriva une tablée de deux couples. Rassurez-vous, des gens en principe bien élevés, beaux quartiers, parlant bien fort à coups de « ah, ah », de chasse en Sologne, de huit chiens qu’il faut entretenir, de « baraques », de voiture et de flambée, de chasse et de « hé ben moi… ». On se dit alors que, dans notre époque, le respect des autres cultures (à commencer par celle des tables voisines) est bien mal parti. Il fallut qu’une tablée intervienne pour calmer les énervés en tweed. Quel malheur ! Mais quel délicieux spectacle : leur médiocrité vexée.
Bref, si vous aimez un récital au piano d’un surdoué, c’est parfait. Sinon, allez parler chasse au-dessus d’un pavé au poivre.
RESTAURANT ES 91, rue de Grenelle, VIIe. Tél. : 01 45 51 25 74. Menus dégustation à partir de 75 euros ; au déjeuner, 45 euros. Fermé dimanche et lundi.
  • Stephane
    24 février 2014 at 22 h 07 min

    Es… Es espléndido.

  • Pivoine
    2 avril 2014 at 10 h 39 min

    Superbe adresse, de l’assiette au décor en passant par l’accueil à l’accent italien, certes parfois un peu difficile à comprendre lorsqu’elle annonce les plats mais ça fait partie du charme de l’endroit. J’y suis déjà allée trois fois (avant l’étoile) et je n’ai jamais été déçue.