Et si l’on sortait un peu de la tête de veau ?!

Brecht Evens et son Paris joyeux

4534344_6_d05c_image-extraite-de-l-album-panthere_78a3ac332288d2e4da2b78dbac55cb24Brecht Evens, visite colorée dans un Paris joyeux

Il ne faudrait  jamais aborder une ville au premier degré. C’est un rêve, n’est ce pas ? Le roulettes de votre valise, le tapis des bagages, le sas des attentes…Le quotidien vient nous mordre les chevilles, fendiller ces moments magiques, alors que la tête devrait partir en vrille, dans la bohème limpide des voyages. C’est sans doute ce qui a présidé à la  collection Travel Book de Louis Vuitton. Régulièrement, elle nous propose propose des décalages joyeux comme Jean-Philippe Delhomme à New York, Jirô Taniguchi à Venise, Lorento Mattotti au Vietnam, Floc’h à Edinburgh, Blaise Drummond sur l’Artique…

Cette fois ci, voici un nouveau client,  l’artiste et bédéaste Brecht Evens ( les Noceurs, Panthère).

Ce  lauréat du  Prix de l’audace du festival d’Angoulême (2011) semble être sagement assis à cette terrasse d’un café de la place Saint Michel. Il y a là pourtant une sorte de volcan sauvage, tapis derrière une chevelure de guerrier adolescent. Son regard balaie la foule des badauds, localise quelques singularités (une sexagénaire en blouse péruvienne et son mari). Mais ne scanne pas pour autant comme un pic-vert, l’oeil du dragueur. Il infuse, laisse entrer les couleurs et les lumières. D’où viennent cette joie, ces pigments, cette fête permanente? Ose t on évoquer ses influences ? N’en a t il pas assez d’être sans arrêt sourcé ? . « Non, pas de tout, je vous en prie » répond-t il avec bonne humeur. David Hockney ? « Mais oui, consciemment » . Les tapisseries flamandes ? « Expressément ». Matisse ? « J’ai fait exprès ». Delaunay? « Par hasard ». Les miniaturistes persans? «  oh oui, tout à fait!!! ».

Brecht Evens, 30 ans, natif de Hasselt (Belgique) vit à Paris depuis deux ans. Il se sent bien du haut de ses cinq étages, à Belleville. « Sil est vrai que l’on peut travailler de partout, scanner ses dessins depuis les Alpes, pour ma part, j’ai besoin de cette ville. Je vois même mes personnages, mes dessins gagnés par l’architecture de la ville, ses climats.  Je me sens comme une araignée sur sa toile, au centre de l’Europe. Il me faudrait plusieurs vies pour honorer cette ville, dessiner comme Brueghel et saisir la vie en trois gestes. Je veux pour autant échapper au réalisme, au cartoonisme et avoir de plus en plus de choix avant de m’attaquer au dessin».

Brecht Evens s’alimente en images grâce à Google. Il en est un grand consommateur. Pas du genre à courir les musées, où il craint d’être déçu. Les sons de la ville n’interfèrent pas pour autant, tout au juste des interférences cinématographiques. « J’ai encore en mémoire, « l’Enfer » de Chabrol et le bruit de l’ambulance qui arrive vers la fin. Les sirènes chez nous en Belgique sont flutées. Les vôtres sont séquencées et entre chaque note, il y a ce vide dramatique. »

On réalise alors  tout ce qui traverse les dessins de ce vagabond qui ne travaille pas à heure fixe: aubes, nuit, après midi, peu lui importe. Mais il dessine presqu’en dansant. Il met ses musiques fétiches (hip hop, rap), danse, prend le recul, dessine, regarde: « Je passe dix fois plus de temps à regarder mes dessins qu’à dessiner. J’ai besoin de ce rapport physique, de bouger. C’est ce qui me sauve. Si l’on est trop près de son dessin, on perd de vue ce que l’on cherche ».

Du coup, histoire de lui piquer quelques « motos », du miel de sa vie, Brecht Evens consent à dire qu’il a un très bon rapport à lui même: « Je suis bienveillant, pas mon patron, mais mon propre ami, je me pardonne beaucoup. C’est simple: j’aime mon travail avec amour et fierté! ». Il laisse aussi la peinture, les matériaux (crayon, aquarelle,peinture..) vivre leur vie « sinon la magie est pauvre »; la partie écriture restant la plus stressante.

Revenir aux dessins de Brecht Evens, c’est également s’imprégner d’une philosophie du voyage. Aménager comme dans ses dessins, un décalage, des chausses trappes, devancer (demander) l’imprévu, l’organiser: « Je ne veux pas que l’oeil comprenne tout de suite, j’aime bien lorsqu’il trébuche ».

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