Bascou, deuxième sommation

Ce fut l'un des derniers repas qui m'aient vraiment secoué…Du coup, un Croque notes dans le Figaro (c'est tous les samedis matin)…

Chaque année, à même époque, vous pouvez être sur de me voir approcher avec mes semelles de plomb pour vous vanter les mérites d’un plat scandaleusement gothique, un affront au diététiquement correct, un coup de canon dans une nuit de velours noir, un cri terrible, un couvre feu à vous donner les chocottes…Vous l’avez deviné, il s’agit du lièvre à la royale. 

Que les âmes sensibles filent plus loin voir la météo et les programmes télé…. Maintenant, on va pouvoir causer. Des jours entiers avant, ce plat va vous hanter. Pire, il va vous happer. Salades légères, boissons effilées, sursauts la nuit, on se surprend même à vouvoyer ses amis. Ce que vous réaliserez plus tard, c’est qu’en fait vous vivez en symbiose avec votre lièvre. Que fait votre ami à poils ?  Il mijote, s’apaise, s’affine. Il avance lentement dans sa retraite. Il se planque dans de larges plats, patiente. Lui aussi se retourne la nuit dans le genièvre, les clous de girofles, le thym, la sariette, le romarin, le chocolat, les oignons, échalotes. Il a même été désossé par le devant, fourré de foie gras et pof deux jours à gémir dans le vin rouge. Ensuite débutera une cuisson interminable. Pas deux heures, ni trois… Plus d’une vingtaine ! Le jour arrive et par chance vous avez réservé au Bascou.

Bascou
A table, nous étions cinq et une voix venue du plafond aurait dû nous demander de relever les tablettes et d’attacher les ceintures. Pas d’entrée bien sûr, ni de vin  de bûcherons slovènes,  mais une cuvée Bettina, du mas de Mazamet, un languedoc superbe à 45 euros. L’accélération fut prodigieuse. Un plat foudroyant. Un ravage. On parle peu, ce n’est pas plus mal, car les mots ressemblent à des gaufrettes. Des biscottes. De la plume. Dans l’assiette darde un plat qui vous engouffre. Parfois, on se dit même qu’au-delà de cette violence animale, ce n’est pas tant la puissance qui vous cloue au mur que son élégance. Une sorte de clair de lune de clairière. Ensuite, il ya comme un rideau. Non point que sa vie défile, mais c’est tout comme. Il y eut un mille feuille d’enfer. Celui là même qu‘on devait déguster au restaurant Lucas Carton, il y a une dizaine d’années lorsque Alain Senderens était au fait de sa renommée, il y avait à ses cotés l’un des meilleurs seconds qu’il ait eu, c’était Bertrand Gueneron. Aujourd’hui, depuis quelques années, Bertrand Gueneron est là dans une sérénité apaisée, un sourire émergeant d’une vie que l’on devine jolie.

Le vin dut faire son effet car en sortant, c’est à peine si j’ai remarqué le nouveau décor (un peu linéaire avec un éclairage encore à tâtons), salué mes amis. Le lièvre poursuivait sa route dans la nuit, on se surprend alors à vouloir le suivre, aspirer qui sait à une vie de puissance et d’élégance. Addition sans coup de fusil, 50€ pour ce plat d’anthologie !

Bascou : 38, rue Réaumur. Tél.: 01.42.72.69.25. Map

(photo laborieuse, sorry, F.Simon)

  • Ratatouille
    24 octobre 2009 at 11 h 22 min

    Un lièvre à la royale aussi foudroyant
    ( percutant ?) que celui de Tateru Yoshino au Stella Maris ?
    Je me souviens encore de votre enthousiasme dans feu « La bande à Bonneaud »…

  • radicchio
    24 octobre 2009 at 15 h 06 min

    mais… dit nous, François : ou est ce que vous avez appris à écrire si bien? Lire vos récits gastronomiques est presque aussi voluptueux que savourer les plats qu’y sont décrits…
    (comme vous aurez pu le constater deja moi en revanche j’en suis encore à l’ortographe : ah ces italiennes illettereées 🙂

  • françois Simon
    24 octobre 2009 at 15 h 15 min

    oh merci !!!

  • sue
    24 octobre 2009 at 17 h 24 min

    Il vous a libéré l’inspiration, celui-là.
    On dirait le ralenti des Choses de la vie (en mieux, tout de même).

  • Sunny Side
    24 octobre 2009 at 18 h 20 min

    Ce lièvre est d’une intensité rare ! Y a-t-il d’autres mets qui vous révèlent autant ?

  • françois Simon
    24 octobre 2009 at 18 h 42 min

    un brochet au beurre blanc !

  • l'ex cremier
    25 octobre 2009 at 9 h 03 min

    Bravo Mr Simon pour ce très joli poste.
    C’est là que je reconnais votre talent.

  • françois Simon
    25 octobre 2009 at 9 h 17 min

    oh merci !!!

  • Martine Vatel-Toudire
    25 octobre 2009 at 10 h 09 min

    Savoureux papier, même de bon matin. Je me souviens d’avoir eu un choc comme ça pour un lièvre à la royale façon sénateur Couteaux, c’était au Pré Catalan.

  • Pascal Henry
    26 octobre 2009 at 9 h 54 min

    Manifestement un lièvre pas mort pour rien!