1/2 J’ai une belle histoire à vous raconter: Shigeatsu

Pour le Figaro, j’ai eu la chance de me promener en Bretagne avec un homme hors du commun… Voici son histoire…

Shigeatsu avec huitre
Dans le dos de l’actualité se trament parfois de jolies histoires. Alors que les huîtres bretonnes étaient frappées par une épidémie, il y a cinquante ans, les Japonais vinrent au secours du parc français. C’est aujourd’hui l’inverse qui se produit, après le drame du tsunami.
Lorsqu’il a commencé son récit, la table s’est arrêtée de manger. Oui, Hatakeyama Shigeatsu, 69 ans, se souvient bien du 11 mars 2011. Il se souvient de l’heure – 14 h 46 – avec une netteté qui fixe son regard, comme si la scène se rejouait à l’identique. « Je travaillais sur la plage lorsque la terre a violemment tremblé. Tout de suite, j’ai compris que le tsunami allait se déclencher tout au loin sous la mer. J’ai su qu’il serait encore plus gros que cinquante ans auparavant. Il était sans commune mesure. Les sirènes se sont déclenchées ; les haut-parleurs nous ont exhortés (Kudasai !) à rejoindre les collines. C’est ici que se tient ma maison, à plus de 25 mètres d’altitude au-dessus de la baie de Kesennuma, dans le nord du Japon. La mer a commencé à déferler, à tout emporter. Nous l’avons vue monter à une allure terrifiante, jusqu’à 20 mètres. Alors nous sommes tous repartis un peu plus haut en galopant, moi avec mon petit-fils sous le bras. Puis cela s’est calmé. On entendait des cris de partout, des suppliques. Notre maison était encore debout. Nous y avons passé la nuit, sans électricité, alors que la neige tombait. On a mis les plus anciens dans les voitures, en mettant le chauffage à fond. Dans les pièces de la maison, les jeunes se serraient les uns contre les autres. Nous étions une trentaine de rescapés. Nous sommes restés ainsi dix jours. À ne manger que des huîtres et des pommes de terre. Personne n’a été malade. »
 
Japon, Sendai, l'enfer
La mer est repartie, charriant avec elle des montagnes de bois déchiqueté, des tôles, des toits et des autos. Et aussi la mère de Shigeatsu, emportée avec les pensionnaires de la maison de retraite. Shigeatsu sourit, la tête penchée. Il a cette mélancolie palpable des rescapés ; ce regard à la fois triste et reconnaissant des miraculés. Et surtout, la ferveur d’une énergie retrouvée. Dans ce genre de configuration, l’humanité a un sens. Elle a même une géographie.


Aujourd’hui, Hatakeyama Shigeatsu est à Cancale (Ille-et-Vilaine). Il bénéficie de la solidarité entre ostréiculteurs et de cet élan enthousiaste qui fonctionna jadis, lorsque le parc français ostréicole fut ravagé par une épizootie, à la fin des années 1970. Les Japonais de la baie de Miyagi adressèrent alors des conteneurs de naissains d’huîtres, les crassostrea gigas. Ils participèrent à la renaissance du parc ostréicole français. En retour, dès que l’on apprit ici la catastrophe du tsunami au Japon, des années plus tard, une solidarité instinctive se mit en place, lancée, entre autres, par le lycée de Cancale. Conteneurs de cordes, flotteurs, bouées, tenues de plongée, filets à soles furent expédiés par avion-cargo, avec une spontanéité sans précédent.

Druide de la mer
Il faut croire alors que le monde peut être irrigué par un fort sentiment, cette bonté instinctive qui nous rapproche des autres, ce continent sans drapeau : l’humanité. Ce singulier mouvement de balancier s’est illustré de tout temps. Des passerelles quasi magiques s’élancèrent de la sorte avec les ceps californiens, lors de l’épidémie du phylloxera qui ravagea le vignoble français en 1863. Les viticulteurs replantèrent sur des porte-greffes américains résistant aux pucerons. Les cités se sont aidées comme pour conjurer l’égoïsme des nations. La ville d’Alep, en Syrie, envoya ainsi, au XVIIIe siècle, à Venise envahie par les rats des bateaux entiers de chats de race soriano, réputés pour leur nature intrépide et effrontée. Récemment encore, 15 000 lapins français ont rejoint la région de Sichuan, en Chine, pour régénérer la race locale.
Aux ostréiculteurs de Cancale s’est greffée également la branche Louis Vuitton-Japon. Le célèbre groupe malletier et son président, Yves Carcelle, ont décidé d’accompagner pendant trois ans l’entreprise de Hatakeyama Shigeatsu, de le soutenir financièrement. À ses côtés, Patrick-Louis Vuitton, cinquième génération de la famille. Il assure les commandes spéciales de la maison : de la mallette pour baguettes de chefs d’orchestre au nécessaire à maquillage pour le théâtre kabuki. Passionné de Bretagne et dingue du Japon, il a compris qu’il y avait dans cette opération une solidarité d’artisan. Après tout, éclaircir l’eau d’un estuaire procède de la même démarche qu’attendrir les hanches d’une malle.

Bretagne, filets et huitres
 

la suite demain matin…
(photos F.S)
  • Gertrude Maillard
    24 octobre 2012 at 23 h 39 min

    Bonsoir,
    Magnifique et émouvant!!!
    C’est beau la solidarité et le partage.
    La suite pour demain….Merci

  • mdlb
    25 octobre 2012 at 10 h 06 min

    La sensibilité et l’intelligence sont les mamelles de l’humanisme.
    Merci de partager ces deux éléments.
    Bien à vous.
    M

  • Sunny Side
    26 octobre 2012 at 14 h 31 min

    vos histoires de solidarité m’enchantent et celle-ci particulièrement.

  • Pascal
    27 octobre 2012 at 10 h 40 min

    Texte touchant, pour une action émouvante. Vivement demain.

  • Indayani
    6 novembre 2012 at 7 h 09 min

    I came back on your blog to check out the name of that hotel. Thing is it’ll be too cold in Feb to take advantage of the tercare! All the nice hotels I’ve seen what a3250 upwards a night so lawd knows how much the one you posted is gonna be. Hmm ths is gna be fun! Expect a ‘WTF’ tweet from me later 2nite! LOL