Berlin. Une visite dans les studios d’Olafur Eliasson

lorsque la cuisine active la pensée...

img_8667Récemment pour Air France Magazine, j’ai eu la chance de visiter ce studio…

Ses oeuvres d’art sont exposées et collectionnées dans les musées du monde entier. Récemment, il fit une installation spectaculaire au château de Versailles et ses jardins. Son studio est à Berlin au centre duquel rayonne une cuisine d’inspiration végétarienne qui va bien au delà qu’une salade de boulgour.

Il est des lieux  comme des livres dont on se demande dans quel état on va en sortir. Où sommes nous ? A Berlin, au studio d’Olafur Eliasson. Le bâtiment a la rigueur et la technicité berlinoise. Ce fut tour à tour une chocolaterie, une brasserie, une imprimerie. On l’impression que ces trois entités ont fait boule de neige. Elles ont migré façon 2.0 pour réunir aujourd’hui une géniale équipe de 90 personnes. Il y a là des architectes, des artisans, des techniciens, des designers graphiques, des web designers, des réalisateurs, des archivistes, des historiens de l’art. Lorsqu’on traverse les différents studios, on a l’impression d’avoir une case supplémentaire qui s’ouvre dans la tête.

Et puis il y a les cuisinières. Elles sont quatre aujourd’hui, levées aux aurores pour délivrer aux pensionnaires des nourritures ailées, « élégantes et intelligentes » poursuit Olafur Eliasson. Ces dernières participent à un véritable écosystème convivial se nourrissant constamment. Elles ne sont pas là pour faire jolie. Mais pour donner du sens, une énergie, de la santé, de la force, des idées. « Elles nous permettent, détaille-t-il,  de  rester ensemble, d’échanger, d’oublier son smartphone. La nourriture est ici un axe vital, une énergie, un langage. Elles inspirent parfois des sessions de travail sur les odeurs, le tactile ».

Elles sont tout simplement au coeur de l’action, partageant parfois même la même scénographie, les mêmes gestes artisanaux (le ponçage d’un bois/le lissage d’un fromage; tournevisser/creuser un melon). Toutes ces recettes (une centaine) ont même été réunies dans un livre que vient de publier Phaidon. Certes, elles sont parfois tristounettes dans un traitement photo vertueux, elles n’ont pas la gloriole sexy et ramenarde du genre. Car précisément, elles nous nous poussent au delà. A penser la nourriture autrement, loin de leur dimension parfois toxique,pesante. « Manger au studio tous les jours, plaisante Olafur, évite d’aller chez le médecin ». Elles sont comme des amies: indulgentes, présentes, vivant leur saison. Elles parlent de nous. Elles s’intéressent à notre peau, nos yeux, nos cheveux. Et sans doute nos pensées, nos songes, nos mots. La nourriture n’est plus alors cet élément anecdotique, pittoresque. Elle est au coeur d’un enchevêtrement savant, humaniste, aimant. Voici des gros raviolis chinois (baozi), des soupes blanches hivernales de légume racines à la sauge; une salade de pois chiches acidulés. Ou encore les courgettes farcies à la ricotta et à la marjolaine .

Ce matin les cuisinières sont venus préparer des tomates doucement confites. Elles ont ciselé les herbes, épilé le thym, trié la marjolaine. On pourrait penser qu’elles sont dans une doctrine étroite et damée (la cuisine végétarienne). Pourtant chaque jour, elles pensent à de nouvelles recettes. Parfois se plantent : « une polenta à la rhubarbe, confesse l’une d’elles en rosissant, je pensais faire un tabac, ce fut une catastrophe. J’avais presque honte de revenir le lendemain! ».img_8656

Dans ce livre Olafur évoque une trilogie sacrée: manger, créer, travailler. Il se lève tôt. Il estime avoir les idées claires jusqu’à 11 heures du matin. «  Après je travaille, j’actionne et ensuite je mange ». Il est treize heures. Dans la vaste salle à manger lumineuse, Olafur est là en bout de table. Chemise gris foncé, il mange tranquillement les haricots verts venus d’une ferme voisine, nos délicieuses petites tomates, des graines amadouées, le fromage blanc et les fines herbes ciselées. Nous buvons de l’eau. Tout autour, les différents ateliers se mêlent. L’ébéniste discute avec la cellule africaine composée de jeunes pionniers passionnés par la dernière aventure du laboratoire: Little Sun, fondé par Olafur et l’ingénieur  Frederik Ottesen. De quoi s’agit-il ? ll s’agit d’une lampe solaire à LED destiné aux 1,1 milliards de personnes qui vivent dans des régions sans accès à l’électricité.
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Plus loin, les webmasters du département « virtuel » échangent des bonnes adresses de Copenhague, autre pôle d’Olafur (chipée pour vous: Hija de Sanchez, pour ses tacos exceptionnels réalisé par un ancien de Noma). Ce laboratoire de Berlin est vraiment comme ce livre que nous évoquions en ouverture. Lorsqu’il est bon, vraiment bon, on se dit alors: que va-t-il changé dans ma propre vie? C’est tout le bien que nous vous souhaitons en vous y plongeant.

Studio Olafur Eliasson: en cuisine. Phaidon, 368 pages, 39,95€.