Sur la route des retours, Chez Gervais, l’auberge inespérée

IMG_7490C’est une France d’autrefois. Celle qui nous a glissé entre les doigts. Les autoroutes passent comme des flèches. Des hameaux tel Chenecey-Buillon (déjà le nom…) versent dans l’oubli. Il y avait là une auberge, sorte de relais de poste (1750), qu’une famille animait depuis trois générations. Les Gervais vivaient ici. L’oncle était en salle, les cousines au service. On faisait travailler le boulanger, le boucher du coin, les maraichers. L’endroit était réputé pour sa pêche (il l’est toujours). Il connaissait un illustre visiteur. Charles Ritz. C’était un dingue de pêche (d’où le nom du restaurant du Ritz, à Paris: l’Espadon). Régulièrement il descendait avec ses cannes (en bambou refendu, de la maison  Pezon et Michel) et parfois, dit-on, avec son ami Hemingway (Ernest). Ils s’installaient Chez Gervais, se tapaient des flacons divins et des repas à l’ancienne. Charles convia même le fils , Léon Gervais (dit Lonlon) à venir prendre de la graine au Ritz. Il en ressortit maitre saucier. L’auberge a failli disparaitre, et se réincarner en logements sociaux. Un amoureux du coin, Bertrand Suchet (ex grand manitou de la pub) a alors senti son grand coeur se fendiller. Il a du sans doute se ruiner à tout retaper, mettre aux normes, changer les 28 fenêtres, la tuyauterie, les boutons électriques. Résultat, un an après, la belle renait. La terrasse et son drap rouge (style Sénéquier) surplombe la rivière et se laisse parfumer par les tilleuls. La  salle à manger bourgeonne façon bourgeoise, les plats du répertoire plastronnent en respectant -dieu merci- le répertoire. Un jeune chef (Manu Roux) suit ce chemin fidèle sous les incantations crémées du maitre des lieux: truite au beurre blanc et savagnin, pâté en croute, feuilleté aux écrevisses, grenouilles aux herbes fraîches, volaille de Bresse rôtie, cochon élevage maison (!), tête de veau…

C’est assez désarmant: ici, les plats ressemblent à leurs intitulés. « Nous allons voulu faire une cuisine identifiable, dit Bertrand Suchet, classique, attendue. Et même espérée! ». Nous voila donc joliment basculés dans un autre temps et son ralenti onctueux, la rivière et son passage ourlé, bordant les nuits aux fenêtres ouvertes. On se dit alors qu’on entre en vacances. Les rythmes vont être plus lents, plus bienveillants. La mansuétude se loge dans les gougères au fromage, les vins frais des côtes du Rhône. Personne ne nous presse. On ressent alors cette impression troublante de légèreté et de bien être. A ceux qui se laisseraient gagner par les troubles de l’imagination, on pourrait presque deviner que la Vouivre, ancienne légende de Franche Comté, immortalisée dans le roman de Marcel Aymé (1943), s’en viendrait sortir du lit de la rivière , laisserait ses bijoux et ses algues, au comptoir de bois vert émeraude. Du reste, dans la salle à manger, coté bistrot (ma préférée), il y a une immense fresque magnifique (1940) de cette jeune sauvageonne, portant l’énorme rubis dans sa chevelure et protégée par une armée de vipères. Cette adresse est non seulement troublante, mais vous balance, sans droits de péages, dans un univers de songes et de sauces ajustées.IMG_7491

Passage à l’acte

Sortir de l’autoroute. Depuis Paris (418km) prendre A6, puis A36/E60 sortie 3. Comptez 4h. Depuis Lyon 215km (2h20mn) A 39 sortie 7 puis A 391.

Adresse GPS. N.48° 51’23.81 ‘’.E.2°21’7.998. Chez Gervais, 2 rue de l’Église, 25440 Chenecey-Buillon. Tel.:  03 81 84 56 49.www.chezgervais.fr

Parking. Oui privé.IMG_7489

La pêche. Environ 3 kilomètres de rives au total en amont et aval de l’hôtel. Zone exclusivement mouche et no kill. Usage d’épuisettes spéciales, hameçons sans ardillons. 

Truites sauvages zébrées. Gros poissons, et grand retour des ombres. Présence de poissons blancs… Du 15 mai au 15 septembre.

Zzzzzzzzz.  Dix chambres stylées doucement confortables de 90 à 160€. Produits de toilette « Sources de Provence » créés par Bertrand Suchet.

S’élever l’esprit. Les Salines d’Arc et Senans par Ledoux (1774). 25 min

L’addition. Au restaurant, menus à partir de 29€; comptez 40€ à la carte.

Dommage. Le village roupille, faute de moyens, alors qu’il pourrait être charmant.IMG_7496