Buenos Aires. Ville première, la suite de ce voyage formidable…

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Il doit exister des voyages comme celui ci. On les construit à son insu dans un imaginaire de villes. Un peu à l’Italo Calvino. Ces villes entre songe et utopie. Celles là même que l’on doit construire lorsque nous dormons. Une sorte d’interjection mêlant Vienne, Madrid, New York, Milan. Une ville première, une cité promise. Pourtant,  ce matin, elle ne joue pas. Elle s’impatiente. Il va falloir marcher, flâner, arpenter. Les rues ne demandent que cela. Les trottoirs sont amples, carrelés, prévenants. Ils sont doux sous le pied. C’est l’épiderme de la ville. Ils vous glissent d’un quartier à l’autre, ont de la conversation. Parfois, vous suivez un sillage, une silhouette pendant quelques « quadras« . Ceux ci se nomment sans se déjuger en traversant ces avenues larges comme des pistes d’aéroport: Recoleta, San Telmo, Monserrat, Puerto Madero, Palermo. Régulièrement d’amples arbres apaisent la chaleur d’un soleil visant juste. Des gommiers, des algaves, des celbos, jacarandas: ils furent ainsi 150 000 a être plantés par un Français, Charles Thays (1891). Ils ont pris leur aise depuis, arrivent même à plonger une rue dans une pénombre feuillue. Vous vous croyez égaré dans un autre bout du monde, mais la ville revient avec son ressac, vous porte, vous conforte. Elle adopte vite car à Buenos Aires, il y a une sorte de bonté de bienveillance. C’est une ville qui aime.

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Au grand café la Biela, on célèbre la voiture en photos sépia. Avant, c’était les avions. Il s’appelait  alors Café Aero. Juan, commissaire de l’exposition Roberto Plati au musée des Beaux Arts, est assis à la table de Jorge Luis Borges, ou peut être de Juan Manuel Fangio. Ou d’Ernesto Sabato. Là dessus, les serveurs ne sont pas contrariants. Ils prennent leurs temps, ont le sourire à tout préalable. Avec Juan, nous ne parlons pas la même langue. Nous sommes dans la rocaille du no comprendo, ce genre de chemin cabossé où parfois un mot jaillit sous les lumières des globes en opale. Dix-huit ventilateurs brassent l’air. Ils se reflètent sur le marbre des  tables. Ils sont dans l’allégorie des tablées, discutant, palabrant. Quelques solitaires brandissent leurs journaux au bord d’un campari. Un autre, geste rare et presque daté, se tient la tête entre les mains.IMG_4934