La crepe n’avait pas la frite

Finalement, rien de plus aléatoire qu’une crêpe. C’est un peu comme la pizza, les frites, les pâtes. Il suffit que la cuisson soit un brin distraite et voilà votre fait d’armes passer à gauche, votre morceau de bravoure tire-bouchonner. Un début de service hésitant, un jour sans grâce, un automne atone, une défaite de son équipe préférée et voilà que le monde boitille. C’est pour cela aussi qu’aller au restaurant appartient à cette douce incertitude. Jamais on ne saurait garantir le sans-faute, encore moins le génie, les coups de Trafalgar, la victoire. Ce soir-là, j’avais emmené quelques poussins entraîner leurs dents de lait sur l’une des meilleures galettes de la Bastille, Grperie la Crêperie bretonne fleurie… de l’épouse du marin.

L’ATMOSPHÈRE. Le nom de la crêperie est déjà tout un poème, le reste est à l’avenant. Décor bourru de chambrée de capitaine, du reste celui-ci traverse parfois la salle et, tel Popeye, promène son profil rallongé de sa pipe. Il est pensif, un peu ailleurs. D’ailleurs, ici, tout est ailleurs, c’est un appel constant à prendre le large. C’est tout juste si l’on ne sent pas le roulis dans cette cambuse. Les cuivres, les solides tablées de bois, les bancs… On pourrait presque deviner tout au loin Paris qui s’éloigne. Cartes marines, calendrier, publicité bretonne, authentique carte de la Bretagne (incluant Nantes), poutres, hermines… on aurait le bourdon à moins et c’est si bon.

LA GALETTE. Cette dernière, nous l’attendions, les couverts levés comme une haie d’honneur. Elle arriva assez vite avec chacun sa composition préférée, tantôt l’ oeuf, tantôt le jambon ou alors en complète. Celle-ci avait du mou à l’âme, pas de vrai tranchant, une sorte de plateau tranquille, assumant convenablement le thème mais sans vraie percussion, ni intérêt notable à vouloir passer une vitesse supérieure. La crêpe s’ennuyait dans ses composantes classiques, presque banales (le jambon, le fromage, l’ oeuf) et lorsqu’une crêpe se languit, elle communique ses états d’âme à l’estomac. Celui-ci ne se méfie pas et reçoit sur la tête une composition somme toute assez ardue : le fromage fondu, l’ oeuf, le beurre fondu, la pâte. Finalement, tout cet ensemble appartient à ces thématiques limite indigestes (comme le café au lait) sauf si c’est bon ou bien bon. Que manquait-il ? Oh, pas grand-chose, un petit coup de rein, du croustillant et de la bonne humeur (absente).

LA CLIENTÈLE. Petits couples de quartier venus se réchauffer, se sustenter les yeux dans les yeux, étudiants en cassage de tirelires, jeunes parents arborant leurs cernes comme des armoiries de la félicité.

LE SERVICE. Très gentil.

FAUT-IL Y ALLER ? Il faudra donc y retourner.

EST-CE CHER ? 44 euros pour une tablée, c’est parfois quatre cafés sur les Champs-Élysées.

CRÊPERIE BRETONNE FLEURIE… DE L’EPOUSE DU MARIN, 67, rue de Charonne, XI e. Tél. : 01 43 55 62 29.