Gunther Sachs is dead, so sad…

Je voulais vous dire pourquoi j'aimais bien cette station de Suisse. Et puis je suis tombé sur ce texte que j'avais rédigé, il y a trois ans pour le Figaro, justement, j'avais croisé Gunther Sachs au Gstaad Palace, une des icones involontaires des années 70, elle nous revient, dépressive et volvérisée, so sad…Il avait offert une bague sublime à BB que celle-ci revendit à leur séparation. Gunther l'a racheta à prix d'or. Pour lui offrir à nouveau. Que dire de plus…

GSTAAD n'est ni snob ni chic. C'est trop tard, les jeux sont faits. Le village est au-delà. Le thermostat a été monté au maximum. Inutile de pousser plus avant, vous risquez de vous briser les dents, fussent-elles serties de diamants. Inutile donc de venir en Hummer, mieux vaut rester discret et rouler, comme tout le monde, en Porsche Cayenne, laisser passer les tracteurs et filer doux. Ici, il y aura forcément plus riche, plus connu, plus désespéré, plus aigu. L'ostentation est pitoyable, ou vintage. Il faudra jouer juste. Se faufiler entres les larmes de cristal de la station, rayonner à bon escient. Vous vous promenez dans l'unique rue principale – la Promenade – et, à tous les coups, ce sexagénaire en tee-shirt, carbonisé par la vie et portant ses journaux dans un sac plastique, est une des plus grandes fortunes du monde. Même à l'auberge Rössli, lieu le plus oecuménique du village, les apparences trompent allègrement. Qui fera la différence entre ce paysan fumant le cigare et ces citadins, épaules basses, parlant de recapitalisation. Qui est le plus riche ? Au bout d'une heure, vous aurez compris que Gstaad vit au-dessus de tout cela (1 050 m). Après, c'est à vous de vous poser, de respirer, de gober des paysages extraits d'une tablette de chocolat, d'y déposer la trace lactée de vos skis. La montagne est soyeuse, les cieux ont été découpés dans des magazines de rêve, les nuages sont en lin. 
Gstaad a cette étrange nature qui vous désarme et vous galvanise. Vous lisez un roman et, tout autour, la vie se déroule. Elle pourrait gagner l'encre des pages. Les rires ressemblent à ceux enregistrés dans les émissions de télévision. Les gens ont cet émerveillement las des personnes qui se redécouvrent un rôle oublié, une carte manquante (… Dans la famille Fortunée, je voudrais le père, la mère, le fils et la fille). Derrière vous, dans une cambrure de lévrier, voici un prince. Il porte monocle, dans lequel se reflètent deux femmes exquises, postées comme les candélabres d'une cheminée. Autre table, au Chesery, un adolescent en mèche demande : « Maman, je veux avoir du caviar ! » Réponse de la maman en cheveux : « Ah, non, je t'ai dit non ! » 

Gstaad, promenade

Gstaad est un village qui respire, s'apaise, se repose. C'est sa force inattendue, qui déstabilise jusqu'aux magazines people. Ici, on a ce regard de Sirius, ce doux éloignement qui jauge les choses de ce monde – prononcez le nom de Hallyday, on comprendra « holiday ». On parle d'elles lentement, comme l'on boirait une décoction d'eucalyptus : Bermudes, Moustiques, Séville… Il faudra attendre quelques minutes et rajouter le prénom de Johnny. Et là, vous ressentez comme une confiture navrée vous tomber sur les cils. Ici, on s'indiffère avec indolence. L'argent ? Ne soyons pas vulgaire, non, il n'est pas venu ici pour cela. Il y venait déjà. Par la belle-famille de son fils (les Pastor, Monaco), le reste n'a aucun intérêt. Notre chanteur est même devenu encore plus sympathique après sa réplique à Michel Sardou qui lui reprochait d'aller s'enterrer dans une station mortellement « ennuyeuse » (pour rester poli). Réponse de Jean-Philippe Smet : « Ennuyeux ? De toute façon, Sardou s'est toujours ennuyé. Partout. » 

Une application toute alémanique 
Même les restaurants ont compris qu'il ne fallait pas la ramener. Pas d'agaceries, d'azote, de soufflé aux oursins. Non, de la salade mêlée, de la tarte de farine grillée, des plats bonhommes, bonnes femmes, servis lentement avec une application toute alémanique, où l'effort a plus de valeur que le talent. Partout, des plats lumpen chic punaisés de pointes asiatiques – seule concession à l'époque (gingembre, wasabi, sashimi). En fait, à Gstaad, on est venu se débarrasser des habits de la ville. On a juste envie de rejoindre un club paisible, où l'on se regarde sans jauger ni juger. « Tout est permis ici, constate Patricia Low, fine mouche de la société locale, instigatrice d'une galerie d'art contemporain, mais dans la limite du raisonnable. » Tout est permis, faut-il le faire sans trop d'esbroufe. Ne pas crier sur les toits. On se croise dans la rue principale, on se donne rendez-vous pour le thé, on dînera ensemble après le ski. On parlera bien sûr de cette famille brésilienne qui vient de racheter un chalet, 30 millions de francs suisses. Pour le détruire. Et en rebâtir un autre à la place pour 50 millions de FCS. Pendant ce temps-là, au Gstaad Palace, on vient d'ouvrir un magnum de Dom Pérignon. Pas celui que vous connaissez. Un autre, que vous ne verrez sans doute jamais, le white gold. Bouteille couverte d'or blanc en édition limitée à 200 exemplaires, 15 000 eur . Les chiffres, lassés de tant de rebonds, ne veulent plus rien dire. La scolarité de l'enfance européenne dorée au château du Rosey ? 50 000 eur en pension complète, boissons au GreenGo, la boîte locale, non comprises. Tout devient relatif, n'est-il pas ? 
Au bout d'un moment, les additions n'ont plus d'intérêt pour vous. C'est bon signe. Vous commencez à rejoindre la moire de Gstaad, ses regards aussi denses que de l'astrakan, son ski solide et sans vertiges. Vous intégrez lentement ces comtés d'un autre temps, avec le château (le Gstaad Palace), les fumées des chalets, leurs toitures soulignées de lumignons (la nuit, on dirait des sourcils étonnés). Vous voilà entre réalité et fiction, la musique serait de Maurice Jarre (Le Docteur Jivago). Vous n'avez pas connu l'Allemagne d'avant la fédération ? Mais ça devait être comme ça, avec ses princes, ses princesses, ses prévôts et ses courtiers, comme une romance extirpée de jadis. Au bout d'un moment (quelques heures à peine), vous vous y ferez à cette commune aux 7 000 habitants (et 7 000 vaches). Ce soir au restaurant duGstaad Palace, Günther Sachs, l'emblématique play-boy des années 1960, s'est levé pour danser. Il avait ce bonheur navré et attendri que les fortunes n'ont pas esquinté. C'est tout Gstaad

Gstaad, gare, train ombre 2

  • Sunny Side
    10 mai 2011 at 14 h 47 min

    Déjà trois ans que je vous lis ! Suis inquiète n’ai pas vu les années passer … Gstaad en été c’est divin, les petits sentiers, les chalets fleuris … le silence de la montagne … rigolo Johnny se planquait à Crans sur Sierre et maintenant Gstaad !

  • jphquin
    15 mai 2011 at 22 h 40 min

    Cher Monsieur,
    Je ne connais pas votre adresse email, aussi je profite de celle-ci pour vous écrire. Il y a pour moi plusieurs Graal culinaires de plus en plus rares dont:
    * Le steak au poivre, mais voir le Voltaire, il n’y a plus que lui et l’Europe ne nous a pas aidé (interdiction du fond de sauce sur le piano…)
    * L’escalope de veau pannée (Milanaise): que des mauvaises ou des médiocres, alors où ? Aidez moi
    * Et le sorbet citron trop souvent une glace au citron (du coup je les fais moi même avec une turbineuse, c’est pas une femme). Voir les merveilleux créponnés de Tunisie.
    Merci de nous aider, il y a d’autres exemples: et je cuisine pour oublier et me souvenir…
    Cordialement,
    jphquin@aol.com